"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



jeudi 2 septembre 2010

COMMENT FAIRE SES ABLUTIONS AVEC PANACHE


Avertissement de BBJane
: Valentine chérie, je ne saurais trop vous remercier de cet article si complaisant envers ma modeste personne. Je suis d'autant plus navrée de la panne qui affecte malencontreusement mon serveur d'images, et qui m'interdit d'illustrer vos propos avec la concordance requise... Je ne parle même pas des liens, qui cafouillent complètement... C'est bête, hein ?...
(Votre rat, ce soir, vous le voulez au grill ou à la poêle ?...)


LES BONS CONSEILS DE VALENTINE # 10
par Valentine Deluxe

Mes enfants, l’heure est grave !
Je me suis fait taper sur les doigts par ma rédactrice en chef.
Si vous aviez déjà dû affronter Mlle BBJane Hudson quand elle est dans une de ses humeurs « châtaignes », vous sauriez que « dictatrice-en-chef » serait un titre plus en rapport avec le caractère fluctuant de cette harpie. Dans ses bons jours, elle n'est qu'odieuse et hautaine ; mais dans ses mauvais, elle est pire !
La raison de ces récriminations ?… Il paraît que je fais trop long !… J’vous demande un peu !...
Est-ce qu’on reprochait à BALZAC ou HUGO de faire 15 pages sur la description d’un verre d’eau ? Imaginez-vous TOLSTOÏ vous pondre "Guerre et Paix" sur un coin de nappe ?… MELVILLE griffonnant "Moby Dick" sur une étiquette de boîte de sardines ? Non ?… Eh bien alors, qu’on me foute la paix !



Honoré de Balzac (à gauche) et Victor Hugo (à droite)

Mais comme elle s’occupe aussi de l’intendance, j’ai bien peur que ça n’ait quelques fâcheuses répercussions sur la cantine dans les jours qui viennent.
A mon avis, je vais encore avoir des trucs qui gigotent dans le fond de mon assiette ; et si ce n’est qu’un gaspard, je pourrai déjà m’estimer bien heureuse d’avoir de la viande !
En plus, elle me reproche des tas de trucs avec des mots savants : « syntaxe », « ponctuation », « séquence »… est-ce que je sais, moi ?... du moment qu’il y a du Panache !...
Eh bien, il paraît que ça ne suffit plus. Faut que je me reprenne en main, que je me structure, que je me petit-robertise, sous peine de voir l’acariâtre sortir de sa caisse à outils chalumeaux et brodequins, et me travailler avec zèle à la mode «Sainte Inquisition ».
Ça, ma foi, si c’était fait avec goût (je n’ose écrire « Panache »), et si j’avais bu plus que de raison, je ne dis pas non. Encore faudrait-il que la bourrelle ne donne pas dans la dentelle fanée et l’eau de toilette au muguet !



Torture torquémadienne pour Valentine

Bon, allez, ma mansuétude étant légendaire et sans limite, on va tâcher de ménager la pauvre chère vieille chose : Essayons de faire court.
(J’ai bien dit : « essayons », hein !...)



C'est ça, Valentine... Faites cour... ce sera suprême...

Donc, tout d’abord, de la méthode ! Allons directement à l’essentiel : sujet, verbe, complément.
Finis les préambules, les digressions, les parenthèses sans fin, tenons-nous en à notre sujet.
Et celui de ce soir / ce matin / ce midi (vous venez quand vous voulez, vous êtes ici chez vous) est on ne peut plus pragmatique :
Les ablutions.




Eh oui ! Vous fréquentez ces colonnes depuis assez longtemps maintenant pour ne pas vous faire recaler comme des oies blanches sur un sujet aussi basique, alors que je m’use la santé à vous répéter chronique après chronique que la vraie Grande Dame homologuée ne connaît point le repos. Elle se doit d'être toujours attentive, ne dormant que d’un œil et l’oreille aux aguets.
Et ce, chaque jour et chaque nuit de sa glamoureuse existence, afin d’esquiver les pièges vicieux et les crocs-en-jambe mesquins que la médiocrité quotidienne des basses-œuvres réglant les fonctions vitales de notre organisme lui tend constamment. (À part Jacques MAYOL je ne vois personne capable de me répéter cette phrase sur une seule inspiration !)
Ainsi donc, l’hygiène corporelle – tout comme les autres sujets déjà abordés par votre spécialiste maison – ne peut souffrir la demi-mesure.



Chez Valentine déjà, le problème ne se pose pas : je n’ai ni vessie ni intestins, et je transpire du Chanel n°5 !
Mais tout le monde n’a pas cette chance.
Vous par exemple, vous vous imaginez, entouré(e) de marmots braillards en train de vous gratter la couenne, le cul dans une bassine en zinc, dans une arrière-cuisine crasseuse où flotte un panel de fragrances subtiles allant du chou rance au linge moisi ?… Nooooooon !
Aussi, pour prendre une leçon de récurage panaché, je vous propose de retourner dans la Domus Aurea de ma précédente chronique, pour y retrouver notre belle impératrice à l’heure de sa toilette.
Elle arbore cette fois les traits de la divine Claudette COLBERT, toute en décadence et volupté, qui est en train de faire trempette dans une baignoire comme n’en a même pas eu Esther WILLIAMS pour ses pérégrinations aquatico-gymniques en 10 ans de carrière à la Metro Goldwyn Mayer.


Claudette COLBERT

Derrière la caméra, c’est tout aussi fastueux, car nous avons le roi de la fresque épique et de l’hypocrisie catho-pudibonde, l’hyperbolique Cecil B. DeMILLE, qui nous propose ici une curieuse adaptation non officielle du QUO VADIS de SIENKIEWICZ (les droits d’auteurs couraient toujours en 1932…), sous le titre pompeux de Le Signe de la Croix.





Et comme à son habitude, sous le fallacieux prétexte de nous donner une leçon d’histoire édifiante sur la vie des premiers chrétiens (qu’il excise au passage, et contre toute attente, du happy-end traditionnel), le maître incontesté de la superproduction saint-sulpicienne made in Hollywood reconstitue méticuleusement devant nos yeux émerveillés la plus belle palette de mises à mort exotiques et d’orgies païennes jamais osée sur un écran de cinéma.




Si ce n’est pas cet aspect particulier de l’œuvre que je traiterai aujourd’hui (ne vous en faites pas, je reviendrai sur cette facette croquignolette du film dans une prochaine bafouille), vous pouvez au passage en profiter pour avoir une idée de ce qu’il était encore permis de mettre en images durant cette parenthèse enchantée, propice à toutes les gaudrioles les plus scabreuses, que l’on nomme la pré-code era.
Eh oui ! car non seulement, en reluquant bien, on peut apercevoir subrepticement un bout de nichon de son altesse impériale – vision sublime autant que subliminale –, mais de plus, la môme Poppée n’étant pas du genre bégueule, elle accueille volontiers dans sa baignoire (remarquez, y a de la place) l’une ou l’autre vilaine cafteuse de ses amies qui vient lui faire son rapport fielleux à l’heure de la toilette.
Moins de 2 ans plus tard, hélas, ce satané code Hayes rendra ce genre de joyeux débordements pellicula non grata dans la capitale occidentale du cinéma.
Lors de la ressortie du film quelques années plus tard, la scène que nous allons découvrir dans un instant – dès que je me serai décidée à la boucler pour de bon, puisque, faut-il vous le rappeler, je me suis jurée de faire court aujourd’hui – a d’ailleurs subi l’outrage des ciseaux vengeurs des adorateurs du MPPC (le « Motion Picture Production Code » pour ceux qui n’avaient pas capté).
Les censeurs ne seront décidément jamais des amis de la Grande Dame Panachée !




mercredi 1 septembre 2010

OUR MISS FRED ou LA FOLLE VADROUILLE


BB'S MOVIES #5

par BBJane Hudson

On dit toujours : « La Seconde Guerre Mondiale »...
Moi, je veux bien, mais il serait bon de rappeler que le terme « seconde » s'emploie lorsqu'il est établi que rien ne viendra à la suite, autrement dit qu'il n'y aura pas de « troisième ». Sinon, c'est « deuxième » qu'il faut dire. Pour ce qui est d'une Guerre Mondiale, je ne parierai pas mon Tampax qu'on est à l'abri d'une nouvelle d'ici la Fin du Monde (qu'on n'appellera pas « La Première », vu qu'elle promet d'être la seule – ce qui, vous l'admettrez, est d'un grand réconfort...)





Ceci pour en venir à notre film du jour, Our Miss Fred (titre français : néant, vu que la bande n'est pas sortie en nos contrées), qui se déroule précisément durant la Deuxième Guerre Mondiale, et plus exactement lors de l'envahissement de notre beau pays par les hordes teutonnes. Ce jour-là, Fred Wimbush, acteur shakespearien effectuant son service dans le Nord de la France, est surpris par l'invasion chleuse alors qu'il interprète un rôle de femme dans un spectacle monté par ses camarades biffins. Les boches -- qui, on le sait, ne sont pas très malins (même qu'on se demande comment ils firent pour nous occuper si longtemps) -- le prennent pour une véritable lady, et poussent l'inclairvoyance jusqu'à le lutiner un brin. Craignant de passer pour un espion, Fred préfère ne pas les détromper. En même temps, peu soucieux de se faire fridoliner la rosette par nos nazillons en goguette, il décide de regagner dare-dare son île natale en compagnie d'une escouade d'écolières british qu'étaient venues faire du tourisme par chez nous. S'ensuit une Grande Vadrouille mâtinée de La Cage aux folles, alertement troussée par Bob KELLETT, et dominée par la flamboyante personnalité de sa star : Danny LA RUE (décédé l'an dernier, à ma grande consternation, même que mon rimmel n'a pas encore séché).





En Angleterre, LA RUE était une véritable institution : le premier travesti nommé Officier de l'Empire Britannique. Bob HOPE voyait en lui "la femme la plus glamour du Monde", et la grande Noël COWARD le décrivit un jour comme "l'homme le plus professionnel, le plus spirituel, et le plus charmant du métier". Curieusement, Our Miss Fred est le seul film où il tint la vedette, ce qu'on peut déplorer au vu de son talent folle. En France, où, à part Benny HILL et Mister Bean (ajoutons les Monty Python pour faire bonne mesure), les amuseurs anglais n'ont jamais eu la cote, il reste aussi glorieusement inconnu que le soldat du même nom, et que ces autres spécialistes de l'humour rosbif que sont Spike MILLIGAN ou Harry SECOMBE.







La scène qui suit explique peut-être pourquoi Our Miss Fred n'eut jamais l'honneur d'une exploitation hexagonale : nos braves compatriotes y apparaissent comme de foutus péquenots, durs de la comprenette et agités du calcif. C'est comme ça tout au long du film, qui nous offre un portrait assez peu reluisant, pour ne pas dire férocement diffamatoire, du peuple de la Liberté, du baiser fourré, des cuisses de grenouilles, et de Nicolène SARKOYALE (ou de Ségolas ROYZY, si vous préférez...)
Notre Miss Fred croise ici le chemin de deux ruraux à qui elle tente de faire comprendre qu'elle n'est point celle dont elle a l'air, dans l'espoir qu'ils sauront lui fournir des fringues mieux adaptées à son périple en rase cambrousse. Notez l'impayable accent français des acteurs britanniques jouant nos braves paysans. Notez l'étonnante ressemblance du pays ch'ti avec la verdoyante Albion. Notez les tragiques méprises auxquelles nous expose la barrière du langage lorsqu'on ne la sait point enjamber. Notez tout ce que vous voudrez, mais ne manquez pas cet extrait...
God save the drag queen !...