"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



jeudi 24 mars 2011

MICHAEL GOUGH (1916-2011)

par BBJane HUDSON

L'un des derniers survivants de l'Age d'Or de l'épouvante anglaise (après lui, ne restent plus que Christopher LEE et Herbert LOM), Michael GOUGH, disparu le 17 mars dernier, fut le comédien le plus Camp de cette lignée d'interprètes qui, de Peter CUSHING à Donald PLEASENCE, en passant par Anton DIFFRING et Ferdy MAYNE, acquirent la célébrité et un statut "culte" en se spécialisant dans le domaine de l'horreur lorsque le genre connut une nouvelle vogue en Angleterre à la fin des années 50, et alors que rien ne les y prédisposait particulièrement.


Si la plupart de ces acteurs, de solide formation théâtrale, se distinguèrent à l'écran par un art consommé de la nuance et de l'économie de moyens (contrairement à une star américaine comme Vincent PRICE, adepte de la démesure et de la distanciation campy), GOUGH se signala dès son premier rôle en vedette dans l'épouvante (le criminologue meurtrier Edmond Bancroft de Crimes au musée des horreurs) comme ce qu'il est convenu d'appeler "un cabot" (appellation nullement péjorative à mes yeux) : hyperexpressif, outrancier, refusant tout naturalisme en faveur de la performance voyante, il se créa un personnage excessif et flamboyant, à la fois inquiétant et drôle. Ce registre auquel la plupart des comédiens britanniques sont fermés (du moins à l'écran, car il en allait tout autrement sur les planches pour les acteurs de la génération de GOUGH), en fit l'héritier d'une tradition grand-guignolesque, très démonstrative et queer, que l'on rencontre plus fréquemment aux Etats-Unis que sur les verts rivages de la perfide Albion. A vrai dire, un seul comédien anglais (monstrueusement négligé des fantasticophiles) osa se risquer avant lui sur le terrain savonneux de l'emphase Camp : j'ai nommé Tod SLAUGHTER, diva masculine du mélodrame horrifique dans les années 30/40...

Tod SLAUGHTER, barbier dément de Fleet Street, bien avant Johnny DEPP

Il y a chez GOUGH un goût enivrant du vertige pataphysique, de l'exagération clownesque, voire de l'élucubration follingue, que l'on rencontre rarement chez les ténors de l'épouvante anglaise que sont CUSHING et LEE, dignes représentants d'une retenue typiquement "british" qui, pour être admirable sur le plan dramatique, est parfois frustrante pour les amateurs du cinéma fantastique, souvent partisans du second degré...

GOUGH dans Le Fantôme de l'Opéra de Terence FISHER (1962)


Je ne vois de meilleur hommage à lui rendre que de reproduire la notice que lui consacra Jean-Marie SABATIER dans son mythique Les Classiques du cinéma fantastique, l'un des premiers ouvrages dédiés au genre en France, et, à ce jour, le plus pertinent jamais publié...


Jean-Marie SABATIER n'avait qu'une vingtaine d'années lorsqu'il signa en 1973 cette somme d'une folle érudition. Certains de ses amis, comme Jean ROLLIN et Alain VENISSE, m'ont brossé de ce cinéphage fantasticophile un portrait étonnant : mal à l'aise dans son époque et affichant des attitudes aristocratiques, il refusait le tutoiement, même avec ses amis les plus proches, et finit par se retirer dans une abbaye qu'il avait achetée, coupant tous les ponts avec son entourage. Ses camarades critiques se demandèrent souvent comment il put écrire, à un aussi jeune âge, un ouvrage si parfaitement documenté à une époque où la vidéo, le DVD et internet n'existaient pas... Vers la fin des années 70, ayant rejeté toute vie sociale, il ne donnait de ses nouvelles qu'à sa mère, qui gardait le secret sur son lieu de résidence. Il semble d'ailleurs que nul ne sache vraiment s'il est aujourd'hui décédé ou vivant...
Monsieur SABATIER, où que vous soyez, cette chronique vous est dédiée...

Michael GOUGH par Jean-Marie SABATIER :

Jouant admirablement de son physique étrange, il sait rendre marquante une simple silhouette (le commissaire-priseur, presque figurant dans The Skull) ou animer le personnage le plus terne (l'insignifiant Arthur Holmwood dans Horror of Dracula). Excentrique et cabotin dans les limites de crédibilité qu'il sait ne jamais excéder, il use de son jeu fortement "distancié" pour caricaturer des personnages cyniques, un rien tarés et innocemment sadiques. Il est l'écrivain dément de Horrors of the Black Museum qui, désireux de posséder un "Musée Noir" plus impressionnant encore que celui de Scotland Yard s'amuse à commettre en dilettante quelques assassinats amoureusement raffinés pour l'unique joie de collectionner les armes du crime et de conter à ses lecteurs, avec moult croustillants détails, l'extatique beauté des agonies. Il est l'aristocrate vicelard de The Phantom of the Opera ou, dans The Black Zoo, le doux adhérent de la S.P.A. qui, jouant Bach sur son orgue, s'interrompt de temps à autre pour faire distraitement dévorer par ses félins quelque importun visiteur.


Son meilleur rôle, hélas trop épisodique, il le tient dans Dr. Terror's House of Horrors dont la présence de GOUGH au générique est d'ailleurs le seul intérêt : il faut le voir confectionner des grenouilles en papier et les agiter à la barbe de Christopher LEE tandis que celui-ci porte un toast devant une officielle assemblée. Spécialisé dans les rôles d'artistes et d'esthètes décadents, il est normal que les producteurs le délaissent un peu : il est trop personnel, trop ironique et trop hautain pour faire carrière dans un cinéma où l'uniformité des médiocrités est souvent règle d'or. Car avec un peu de talent et de bonne volonté, ses réalisateurs en auraient aisément pu faire quelque équivalent d'un LUGOSI dans les années 60.


HORROR HOSPITAL (Anthony BALCH, 1973) :



Un hommage rendu à Michael GOUGH par un usager de YouTube (Daswoin) (ou comment la jeune génération, incapable de voir plus loin que les années 1990/2000, résume le travail d'un acteur à son seul rôle du serviteur de BATMAN... Mais bon, c'est mieux que rien...)



dimanche 6 mars 2011

MASSACRE AU (MEIN) CAMP D'ETE


JUSTE UNE QUESTION DE BON SENS #2

par Valentine DELUXE
Panache et bon sens, nous l’avons vu, font souvent bon ménage ; du reste, nous porterions peu d’intérêt au second dans ces colonnes s'il ne se trouvait accolé au premier. 
Après le pragmatisme de Mme Rogo durant la petite croisière très « congés payés » qui servit de cadre au chapitre inaugural de cette rubrique, nous allons – heureusement – partir pour des sphères un chouïa plus élevées socialement, et des thébaïdes un tantinet plus sélectives quant à leurs fréquentations. Prenons par exemple la pension de Mlle Daphné Castle, une dame très bien qui arbore pour l’occasion la rousseur flamboyante de l’indispensable Maggie SMITH
La rousseur flamboyante de Maggie SMITH (cherchez l'erreur)
Une merveille de délicatesse et de raffinement, cette cahute perchée sur un pic rocheux au beau milieu de l'Adriatique ; et autrement plus classe que le rafiot pourri de madame Rogo – malgré tout le respect que j’ai pour elle, la tendre chérie... -
 Pour ce qui est de l’animation, y a pas un Club Méd qui pourrait faire le poids : pédalo le matin, meurtre l’après-midi, et résolution de l’énigme à l'heure du thé, entre petit gâteaux et sandwichs au concombre, par le plus célèbre Belge du monde (après Valentine DELUXE, il va sans dire), môsieur Hercule Poirot en propre personne, ici sous les traits à jamais indissociables du toujours génial Peter USTINOV (qui d’autre ???) 
Peut être moins oscarisé que les précédentes baguenaudes de Miss Christie, ce Meurtre au soleil ne fait pas pour autant dans le casting « bout de ficelle – selle de cheval ». 

Perdu dans une faune d’un haut niveau social, certes, mais néanmoins des plus pittoresques (James MASON, Sylvia MILES, Diana RIGG, Jane BIRKIN, ainsi que l’un des nombreux péchés de jeunesse de Valentine, le beau Nicholas CLAY), surnageant tant bien que mal et balloté entre la vulgarité des uns et le machiavélisme des autres, un personnage attire immédiatement notre attention par ses aphorismes mêlant distinction et ironie dans des proportions merveilleusement dosées : j'ai nommé Alex Brewster. 

Imaginez la progéniture improbable que Noël COWARD ou Cole PORTER auraient pu avoir avec la Duchesse de Windsor. Alliant l’esprit des pères, l’élégance de la mère, et la langue de péripatéticienne des trois, comment diantre voudriez-vous qu’il ne soit pas tout de suite une icône des plus incontournables, à mettre bien en avant dans notre vitrine « garce et glamour » ?
Nicholas CLAY & Diana RIGG
Oh mon dieu, suis-je sotte ! J’allais oublier l’essentiel : notre Alex Brewster ajoute à ces atouts déjà considérables, le bon goût d’être incarné par Roddy McDOWALL, plus folle qu’il n’aura jamais pu l’être à Hollywood, coincé entre un Lassie et six « Planète des singes » (« follitude » largement surlignée par le savoureux doublage de l’indispensable Jacques CIRON...) Pour cette petite sélection, point n’est besoin de situer l’action ou les personnages -- d'autant que je suis un peu épuisée par des semaines de surexposition médiatique (1) ; c’est d’une éloquence qui n’appelle aucun commentaire.

Qu’ajouter ? Rien, si ce n’est que je vous propose…




« La basse grossièreté remplace-t-elle l’esprit ? On s’interroge encore… »
Citez donc cette maxime incontournable et frappée au coin du bon sens quand des entreprises aussi triviales et bassement terre-à-terre que le fisc, l'EDF, ou quelque détestable créancier, auront l’audace et le mauvais goût de vous relancer pour de pénibles rodomontades d’origine pécuniaire. Y en a qui ne doutent de rien, vraiment ! Quant à…

« Dommage ! J’aurais trouvé ça d’un Louis XIV… » Ça, que diriez-vous de le garder pour le prochain freluquet qui jugera que ses 20 ans et son corps de rêve l'autorisent à rejeter d’un revers de sa main morveuse les propositions malhonnêtes et forcément indécentes que vous venez de lui susurrer dans le creux de l’oreille après avoir descendu votre 27ème Martini-dry de la soirée (avec ou sans olive). Je vous laisse le reste, prenez ce qui vous plaît, faites-vous en des doggy bags culturels, et refermez la porte en partant, moi je retourne me coucher.
(1) Ceux qui n’ont pas suivi l’éclatante ascension sociale de la demoiselle DELUXE peuvent bien retourner se terrer dans la grotte humide et impénétrable où ils ont dû passer ces 2 derniers mois pour rester imperméables à ces trompettes de Jéricho qui en ont rendu sourdingues plus d’une. Allez hop ! Caltez volailles, ce n’est pas l’armée du salut ici !