"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



jeudi 28 juin 2012

FRENCH CAMP

par Valentine Deluxe

Dans la masse dense et touffue des échanges épistolaires auxquels vos hôtesses chéries se sont livrées avant d’ouvrir c’te foutue boutique, vint très vite cette angoissante question :
"Y a-t-il un cinéma Camp franco-français ?"
Le débat ainsi lancé fut rapidement clôturé pour cause de pugilat sanglant, d’échange d’épithètes aussi ordurières que cocasses, et finalement par manque de munitions.
Cette guerre soeuricide me serait sortie de la tête depuis belle lurette si je n’avais redécouvert la petite merveille dont je vais présentement vous parler.

"Existe-t-il un Camp français ?" (Choisissez votre... camp !)

A la base, il y a comme un petit parfum de madeleine proustienne.
De vagues souvenirs d’un film vu à la belle et lointaine époque des trois chaînes nationales (dont la première, pour d’obscures raisons techniques, n'était captée à la maison qu’en noir et blanc !) émettant moins de 12 heures par jour.
Que restait-il de cet incunable dans ma mémoire ? Des bribes, des miettes, des effluves !
Jugez-en : des enfants sacrifiés à quelque culte diabolique et enterrés de nuit dans de brumeux cimetières, des gâteaux empoisonnés, des séances de torture, des messes noires, et des bûchers à foison! Faut-il s'étonner que cela ait impressionné la fillette que j’étais alors !

Valentine, fillette impressionnable devant sa télé...

35 ans plus tard donc, à force de patience et de recherches, j’ai non seulement pu identifier le film, mais -- Hosanna au plus haut des cieux ! -- j’ai également réussi à me le procurer, à le visionner, et à le découper en petits morceaux pour votre plus grand plaisir, enfin d’en extirper la substantifique moelle ! 
(Ici, pour le bien et la concision de ma chronique, il va me falloir pratiquer une ellipse salvatrice. KUBRICK sautait 40.000 mille ans grâce à une mâchoire de phacochère expédiée dans la stratosphère, moi je me contenterai modestement d’un point à la ligne... Attention ! …Voilà c’est fait...)


Cet obscur objet du mien désir, qui m’a hantée pendant des décennies, était donc un film injustement oublié de Henri DECOIN : L'Affaire des poisons.
Au vu de son générique, vous admettrez sans peine que cette amnésie est assez inexplicable, car non seulement le film est excellent, mais il possède en plus une affiche absolument scintillante.
Basée sur la fameuse saga judiciaire qui secoua la France du Roi Soleil jusque dans ses plus hautes et nobles sphères, l’œuvre installe en haut de l’affiche Danielle DARRIEUX en pathétique Marquise de Montespan, prête à toutes les vilénies pour reconquérir l’affection -- et plus si affinités -- de l’éblouissant despote (que nous ne verrons jamais que de loin, histoire que son éclat ne nous provoque pas un décollement de la rétine.)


Mais pourquoi diantre parler de ce film ici ?
Plutôt que de me justifier par un long discours, je vous propose simplement cet extrait, où, en plus de la DARRIEUX, vous découvrirez celle qui -- plus que toute autre raison -- justifie la présence de ce diamant noir (bon, allez, d’accord : un vieux strass passé au brou de noix...) dans nos colonnes : la divine et outrageusement Camp (j’ose le mot) Viviane ROMANCE !
Jadis abonnée aux emplois de femmes de petite vertu, voire de mauvaise vie, l’ex-vamp des années trente trouve ici l'un de ses derniers grands rôles, et nous rappelle au passage combien l’oubli dans lequel elle se trouve aujourd'hui confinée est aussi injuste qu’incompréhensible
Le trait alourdi (ne disons rien de sa silhouette), elle reste néanmoins absolument parfaite dans le  rôle de la reine des empoisonneuses, la maléficieuse Catherine DESHAYES, dite « La Voisin ».

Le personnage et son interprète : une ressemblance qui saute aux yeux...

Et pour l’occasion, elle adopte ce registre que j’adule  plus que tout : celui de la cabotine murmurante... C’est qu’il en faut, du talent, pour réussir à en faire des tonnes sans gesticulation intempestive, sans haussements de sourcils ravageurs et autres roulements d’yeux  menaçants.
Impériale dans la fausse sobriété, préférant le persiflage chuchoté aux éclats de voix, elle est merveilleusement aidée, convenons-en, par les irrésistibles mises en bouche du dialoguiste Georges NEVEUX, dont je vous propose incontinent (notez au passage mon incomparable sens de l’enchaînement !) de découvrir l'un des plus succulents morceaux :



mercredi 13 juin 2012

GRIMPE LA-DESSUS, TU VERRAS MONTMARTE !


"Vous voyez ce qu'il veut dire, mademoiselle Skeffington ?..." #1
par Valentine Deluxe

Mes enfants, l’heure est grave !
Je vais vous demander un petit instant d’absolue franchise, aussi furtif qu’un pet de lapin, mais qui ne pourra souffrir la moindre esquive vers la bien commode et diplomatique hypocrisie, celle-là même qui nous sauve la mise plus souvent qu’à notre  tour dans c’te foutue chienne de vie.
« Tu aimes ma nouvelle robe ?... »
« Tu ne trouves pas que j’ai un peu grossi ?... »
« Il est bon mon gigot ?... »
Qui d'entre nous n’y est jamais allé de son petit mensonge blanc devant ces questions-pièges, ces suppliques aux accents de désespoir, formulées avec des yeux de poney diabétique par des copines dépressives, toujours à deux doigts d’ouvrir le robinet du gaz ?

 "Tu aimes ma nouvelle robe ?... Tu ne trouves pas que j'ai un peu grossi ?..."

Eh bien pourtant, moi qui vous parle (enfin, « qui vous écris »), je vous demande -- une fois n’est pas coutume -- d’abandonner le tact et la conciliation pour la vérité la plus brutale et la moins fardée.
Approchez-vous et regardez-moi dans le blanc des yeux (que j’ai un peu jaune, suite à l’excès de spiritueux frelaté dont nous faisons grande consommation dans les bureaux rédactionnels de votre blog préféré), et avouez donc : en lisant mes interminables phrases de 17 lignes sans respirations ni points-virgules, devant mes métaphores brumeuses, ou face à mes associations d’idées saugrenues, lequel d’entre vous ne s’est jamais demandé : « Mais qu’est-ce qu’elle raconte ???... »
Hein ???
Hein, dites ???
Hein qu’c’est vrai ???
Oui ?
… OUI !?!
Ah, bougres de p’tits salopiaux ! Y a pas fallu vous pousser beaucoup pour que vous glissiez dans l’odieux et l’infâme!

En même temps, je l'avoue le front bas et le menton tremblant : vous n’avez pas tout à fait tort. Il est vrai que parfois, mon style quelque peu ampoulé et mes envolées lyriques ne rendent pas ma pensée aussi limpide, mon propos aussi immédiatement déchiffrable que je l’aurais souhaité. « Abondance de biens… », dit-on !
Mais vous allez voir que je ne suis pas la seule dans ce cas… Car enfin, et c’est là le but caché de cet interminable préambule (également une autre des mes marques de fabrique), nous sommes ici pour inaugurer une rubrique !
Une nouvelle rubrique donc, entièrement dévouée à ces obscures figures de style qui, au détour de l’une ou l’autre petite gâterie cinématographique, nous font toujours nous gratter la tête avec incrédulité, en nous demandant si nous n’aurions pas loupé quelque chose, un sous-texte, un message, voire une cochonceté voilée sous la prose la plus amoureusement fleurie.

Une cochonceté voilée... 

Pour illustrer mon propos, découvrons un morceau -- de bravoure ! -- d’une de ces petites merveilles que je n’aurai sans doute jamais connues sans l’extraordinaire érudition de ma copine de pige, l’indispensable, l’irremplaçable, l’inestimable Mlle BBJane Hudson en personne (pour ne pas la nommer, et sous vos applaudissements nourris).
La pépite en question ? Susan Slade, un des ces sublimes mélodrames dont le cinéma américain des années 50/60 avait le secret, tout en Technicolor sirupeux, en pose affectée et en intrigue tout droit sortie d’un roman-photo pour midinettes.
Ce qui sauve souvent (toujours ?) ces films de la dernière médiocrité, où aurait pu les entraîner le matériau de base, c’est l’extraordinaire professionnalisme de la machinerie. Dans le cas de ce film de Delmer DAVES, si la mayonnaise prend malgré la saccharine, c’est d’abord par la grâce d’une distribution ébouriffante de conviction et absolument parfaite, depuis les vieux briscards (Dorothy McGUIRE, Lloyd NOLAN, Natalie SCHAFER) jusqu'aux jeunes pousses (le craquant minois de Connie STEVENS, ce grand échalas de Troy DONAHUE).


Ajoutez à cela l’absolue perfection de la photographie et de la direction artistique, dont le bon goût calculé se retrouve dans le plus anodin des décors -- il ne nous viendrait jamais à l’idée de vouloir changer le moindre bibelot, tant tout n’est que recherche et harmonie.
Bref, un sans faute, quoi !
Et dans cette histoire incroyablement nunuche d’une oie blanche -- irrésistible  Connie STEVENS -- qui se retrouve fille-mère (so shocking !) après s’être fait allégrement culbutrousser par le premier godelureau croisé sur le transatlantique qui la ramène au pays (so chic !), le metteur en scène, par toutes les qualités précédemment citées, arrive à élever l’historiette de départ jusqu'à des sommets rien moins qu’opératiques.
Et puisque nous parlons de cimes et d’altitude, rencontrons sans retard celui par qui le scandale arrive, et voyons ce qu’il va raconter pour emballer la petit dinde qui vient de tomber dans ses filets de grand prédateur vorace.


Alors, peut être Mademoiselle Tessa Skeffington pourra-t-elle nous éclairer sur le sens caché de cette puissante démonstration ?

dimanche 3 juin 2012

LE FILS A SA MÔMAN


Spécial Fête des Mères
par Valentine Deluxe

J’ai déjà illustré plus souvent qu’à mon tour les diverses avanies et profondes déceptions en tout genre que les filles réservent à leurs mères.
Mais qu’en est-il des fils ?...
Ah ! Le fiston à sa môman !… Il n’est qu’amour, dévouement et affection, car une seule chose compte pour lui : le bonheur de la seule femme de sa vie ! (Sauf quand il se fait mettre le grappin dessus par Gwyneth PALTROW, comme dans ma précédente chronique...)
De fait, comment ne pas être éternellement reconnaissant envers celle qui lui a donné le jour, dans la souffrance, le sang, et diverses déjections bien peu ragoutantes ?… -- Oups !  Désolée de vous rappeler à la plus rude des réalités, mais il faut voir les choses en face : un accouchement, ce n’est pas ce qu’il y a de plus glamour ! Sorti de l’aura affectivo-gnangnan qu’on lui colle impunément, c’est même carrément dégueulasse !

 Coucou !...
 
 ... c'est nous ! 

Sans doute est-ce pour se faire pardonner les longues heures de douloureux travail nécessaires à son expulsion de l'Immaculée (euh, pas tant que ça...) Matrice, que le petit Arthur Pimm revient tous les jours que le bon Dieu fait vers sa gentille maman, restée sagement à la maison, avec un petit cadeau à son intention au creux des mimines.
Car pour ce brave Arthur (preuve s’il en est qu’il est le fils parfait : on a eu le bon goût de le faire interpréter par Roddy McDOWALL), c’est la Fête des Mères tous les jours !
Et pas question de ramener à sa génitrice une boîte à bijoux amoureusement confectionnée avec un emballage de « Caprice des vieux »* garni de nouilles maladroitement badigeonnées d’épaisses couches de gouache multicolores. Noooon ! Arthur, il ne mégote pas quand il s’agit de combler la chère vieille chose.


Voyons donc ça de suite, dans cette merveilleuse scène tirée d'un It ! gaudriolesque. Cette relecture hilarante -- à des degrés plus ou moins volontaires -- du mythe du Golem, a été produite, écrite et réalisée (ouf !) en 1967 par le modeste, laborieux, mais toujours disposé à bien faire, Herbert J. LEDER.
Rappelons au passage que ce brave Herbert coiffait déjà les trois casquettes l’année précédente, pour nous délecter d’un indispensable The Frozen Dead !
Maintenant que les présentations sont faites, voici la preuve par l’image :


Il doit sans aucun doute avoir de la famille travaillant dans l’hôtellerie routière (un motel, ils appellent ça là-bas) quelque part entre Phoenix, Arizona et Fairvale, Californie.

* Pas de publicité clandestine sur MEIN CAMP : c'est intentionnellement que nous avons changé le nom de cette marque de fromage industriel trop bien connue.

vendredi 1 juin 2012

HUSH ("du venin dans les veines", 1998)


BONNE FÊTE, MAMAN ! 3ème édition
 "TU ENFANTERAS DANS LA DOULEUR"
par Valentine Deluxe

Nous n’allons pas nous étendre une fois de plus sur le sujet,  la cause est entendue : la menace potentielle, le danger latent, la mérule pernicieuse rongeant les saines fondations de la famille, c’est la fille.
Envieuse, ingrate et mesquine, cette vilaine bête sournoise n’a de cesse de souiller la sacro-sainte icône qu'est la Génitrice, centre de gravité obligé de toute cellule familiale bien comme il faut.  
J’ai déjà pu illustrer (brillamment, cela va de soi) ce propos ici, ou encore . Ces cas de figure sont assez parlants, nous n’y reviendrons plus.

 Mothers and daughters

Mais s’il est bien une autre sale bestiole gluante qui donne du fil à retordre à ce puits d’amour et d’abnégation qu’est la mère, c’est… (suspense et roulement de tambour ad hoc...) LA BELLE-FILLE !
Eh bien oui, c’est d’une logique imparable, quasi mathématique : si déjà le fruit féminin de vos entrailles est pourri, que pouvez-vous attendre de la bru ? Cette garce, en plus de vous voler la chair de votre chair, se révèlera le plus épouvantable fléau que l’humanité ait jamais enduré depuis les sauterelles et l’agent orange.
Mais comme, à l’inverse de votre teigne de fille, celle-ci n’est point issue du confort molletonné de votre utérus, nul n’est besoin de s’étouffer de scrupules : débarrassons-nous fissa de l’encombrante et nauséabonde verrue!
C'est pourquoi aujourd’hui, pour notre troisième édition de ce « Spécial Fête des Mères », je vous propose d'illustrer mon propos par l'exemple de la bienheureuse Martha Baring.


La tentation est grande de vous exhumer au passage la correspondance enflammée échangée entre BBJane Hudson et votre Valentine, pour relater la découverte de ce petit bijou campissime où sévit cette chère Martha. Quelle excitation,  quel enthousiasme, lors de la découverte de ce sublimement décalé Du Venin dans les veines  (bénis soient  les traducteurs qui ont pondu ce titre merveilleux, tellement  plus dans le ton de l’œuvre présentée que l’orignal et insipide Hush, qui, s’il n’est pas doublé et suivi d’un sweet Charlotte, n’est que d’un intérêt restreint...)


Pensez donc ! Quelque chose qui pourrait figurer dignement dans votre dévédéthéque entre Maman très chère (en parlant de Fête des Mères !) et La Vallée des poupées… et qui date de moins de 15 ans ! 1998 !!!… Vous imaginez ?...
Pour celles et ceux qui pensaient que sur MEIN CAMP, l’histoire du cinéma s’était arrêtée en 1975, eh bien non ! Voilà qui bat notre précédent record (également issu de notre « Spécial Fête des Mères ») détenu par Postcards from the Edge, qui lui ne datait « que »  de 1991.
Bon, là-dessus, je ne vais pas déflorer plus avant notre présente pépite.
Disons juste qu’une pauvre maman -- incarnée par l’une de nos dernières divas ultra-camp encore vivantes, l’inestimable Jessica LANGE -- voit débarquer son crétin de fils unique avec, pendue à son bras, une horrible chose glapissante et geignarde, fagotée comme l’as de pique, coiffée comme le cousin Machin (mais siiiii ! vous savez, dans La Famille Addams !) et qui se révèle être sa fiancée : l’horripilante Gwyneth PALTROW, toute de fadeur et minauderies.


Se disant qu’à toute chose malheur est bon, notre brave Martha va décider d’appliquer les recettes qui font merveille dans le haras 4 étoiles dont elle est la propriétaire : utiliser sa vilaine bru dans le seul  but d’assurer une progéniture à son bel étalon de fils.
Signalons en passant que le fiston à sa môman est « incarné » par  Johnathon SCHAECH, un bellâtre tout aussi insipide que sa dulcinée, et tout droit sorti d’un centerfold de Playgirl de l’époque. Le bougre défend ici comme il peut -- et c’est peu dire qu’il peut peu ! -- le personnage le plus crétinoïde jamais vu à l’écran !
Regardons sans tarder deux extraits du climax de cette perle, à savoir l’accouchement (sans péridurale) de la bêtasse, sous l’œil outrancièrement malveillant de Jessica / Martha. Attention : orgasme assuré !

LES PREMIÈRES CONTRACTIONS :


LE BABY BLUES :


Si c’est pas beau l’amour d’une mère, quand même !...