"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



lundi 16 janvier 2012

LA "CANNONISATION" DE TOBE HOOPER


Once Upon a Flop # 2
par Valentine Deluxe

« Nostradamus l’avait prédit, Tobe HOOPER le prouve ! »
(Bande annonce française d’époque)

Rappelons-nous ce que je vous exposais lors du premier opus de cette rubrique :
« En tout accro à la Camp attitude qui se respecte, il y a un petit Néron qui sommeille. »
Et ce Néron sera secoué de soubresauts lubriques en apprenant que le flop que nous allons disséquer aujourd'hui pour votre plus grand plaisir a ruiné les carrières conjuguées de ses producteurs, de son metteur en scène, ainsi que celles de ses deux vedettes féminines, qui, dans le meilleur des cas, ne navigueront plus après ce faux pas que dans les eaux troubles des productions indépendantes les plus fauchées de la planète.
Et attendez seulement que je vous détaille le générique de cet Invaders from Mars, puisque c’est de lui dont il s’agit !


Si j’ai choisi ce film et pas un autre en ce début d'année sur MEIN CAMP, c’est qu'il a comme des airs de restes de festin de réveillon qu’on réchauffe le lendemain, et qui semblent toujours plus goûtus que la veille. Détaillons voir... Au tiroir caisse, Messieurs Menahem GOLAN et Yoram GLOBUS ! …Ouiiiiiii ! les Go-Go Boys de la Cannon Group Inc. ! (orgasme vaginal en vue !...) A la caméra : Mister Tobe                  « Massacre à la tronçonneuse » HOOPER himself  (orgasme clitoridien !). Et en tête de générique, Mesdames Karen BLACK et Louise FLETCHER (et là, on en est carrément au stade du fameux orgasme tantrique d’amplitude sidérale tant vanté dans la littérature new-age !...)

Golan et Globus, affectueusement surnommés les Go-Glo.

Alors évidemment, la présence des deux premiers en tête de liste rendra caduque la question qui peut légitimement se poser devant le spectacle d’un tel naufrage : « Mais comment ce désastre a-t-il pu arriver ? ».  Car Golan et Globus, voyez-vous, ce sont un peu les Gault & Millau de la guigne, les Poiret & Serrault du mauvais goût, les Salvatore & Adamo de l’idée saugrenue !
Pourtant, ladite idée n’était pas plus sotte qu’une autre, pour une fois : concevoir un remake relativement fidèle d’un classique mineur de la science fiction « made in fifties », le très coloré et manichéen Invaders from Mars (oh chouette ! c’est le même titre en plus !) de William CAMERON MENZIES.


La seule différence majeure entre les deux opus, c’est que si la version originale, mise en scène par le génial directeur artistique d'Autant en emporte le vent, devait se débrouiller avec un budget inférieur à celui que nécessite la fabrication d’un lacet de chaussure, son remake -- du moins au début -- ne se refusera rien !
Les Go-Glo voient grand, très grand : 15 millions de dollars au bas mot !… Et je vous assure que dans nos belles années 80, on en faisait des merveilles avec 15 patates de l’oncle Sam ! (Sheena, reine de la jungle ou King-Kong 2, par exemple...)
Le film faisait partie du contrat de 3 films (qui se révéleront être autant de flops) conclu avec Tobe HOOPER, dont l’auréole éclatante consécutive à son mythique massacre (« à la tronçonneuse », au cas où il y aurait des distraits dans l’assistance) n’avait pas encore été complètement ternie par les vilaines rumeurs de son remplacement par Steven SPIELBERG sur le plateau de Poltergeist... Mais tout vient à point à qui sait attendre, se sera chose faite après son passage à la Cannon ! 

Le mythique logo de la Cannon.

Pourtant, les choses se présentaient plutôt bien sur le papier ; hélas, sitôt le premier tour de manivelle donné, ce fut une autre paire de manches !
La précédente collaboration Go-Glo / Hooper -- le cultissime, joyeusement bordélique et tout aussi friqué Lifeforce, avec sa vampire de l’espace à oilpé -- vient de sortir et de se ramasser un bide… cosmique ! (elle est fine celle là, notez-la bien !...)
Ajoutez à cela que les ambitions « auteurisantes » des deux producteurs ne ramassent que gamelles et quolibets (le fameux contrat signé sur une nappe en papier avec Jean-Luc GODARD pour son King Lear, ou les premiers pas derrière la caméra de Norman MAILER, entre autres fours), ce qui commence à échauder singulièrement la confiance et la patience des bailleurs de fonds de la Cannon.
Premières retombées immédiates : un rognage en règle du budget alloué à I.F.M. (on va l’écrire comme ça, ça soulagera mes pauvres doigts déformés par l’arthrose, nos locaux n’étant point chauffés...) Mais si des coupes sauvages de ce genre peuvent avoir des effets assez désagréables sur un projet encore au stade de l’écriture, elles deviennent absolument catastrophiques dès lors que la production est en plein tournage.
En plus des économies de bouts de chandelles effectuées côté cantine, l’invasion planétaire se verra limitée en tout et pour tout à deux gros globules sur pattes, qu’on essaiera tant bien que mal (plutôt mal que bien, d’ailleurs) de démultiplier par des astuces de mise en scène qui ne trompent personne, et ne font que souligner le gigantisme ahurissant des décors d'un vaisseau spatial ressemblant à une carcasse de poulet grande comme le stade de France, et baignant dans des éclairages criards, façon « soirée Halloween chez Michou » (encore que maintenant, vu l’âge du public et des artistes, c’est tous les soirs Halloween chez Michou !)

Après les petits hommes verts, le petit homme bleu.

Remarquez, même avec davantage de bestioles, le problème restait identique : les envahisseurs ressemblent à de grosses occlusions intestinales sautillantes, qui nous font amèrement regretter les grands cons en pyjamas pilou de la version de W.C. MENZIES.
Quant à l’Etre Suprême (« de volaille », vu la configuration du vaisseau), c’est une sorte de lombric lubrique (« à brac ») (Elle est en forme, la Valentine ! Dans deux minutes, elle va sortir les cotillons et organiser une farandole... ) dont les desseins resteront aussi obscurs que les salles du même nom :
– Bon, d’accord, il veut envahir la terre, mais pour en faire quoi ???
Pour le coup, les deux lascars responsables de ces incroyables fautes de goût -- les multi-oscarisés  Stan WINSTON aux (coûteux) effets « spécieux », et Leslie DILLEY à la direction artistique -- mériteraient d’être dégradés publiquement façon DREYFUS, tant la laideur agressive de leurs créations respectives se trouve être pour une large part dans le naufrage de l’entreprise, et dans la migraine produite par la vision de ce bidule.

Tobe HOOPER (le barbu à gauche), très fier de son occlusion intestinale.

Bien, maintenant, allons jeter un coup d’œil sur le moment-pivot de cet inénarrable (1) et indispensable flop.
Ce pivot, c’est le point de non-retour, celui après quoi, avec toutes les meilleures intentions du monde, il sera impossible aux auteurs de retrouver la confiance aveugle que le spectateur avait placée jusque-là dans un film qui, reconnaissons-le, commençait pas trop mal.
Après l’inévitable et aphrodisiaque logo de la Cannon (« aphrodisiaque » uniquement chez les deux détraquées post-ménopausées qui officient sur MEIN CAMP, il va sans dire) vient une exposition des plus classiques, mais tout à fait efficace : depuis qu’il a vu une étrange boule lumineuse atterrir derrière la colline voisine de la maison familiale, la vie du jeune David Gardner (horripilant Hunter CARSON, pseudo-révélation du soporifique Paris, Texas) se complique singulièrement. Après être allé faire un tour derrière la colline pour vérifier les élucubrations de son exaspérante progéniture, Papa Gardner (Timothy BOTTOMS, que, toute gamine, je trouvais terriblement craquant en terroriste des montagnes russes dans Le Toboggan de la mort) met 47 sucres dans son café du matin en regardant le fruit de ses entrailles avec un air de matou qui va gober un canari. L’affable maman Gardner, quant à elle, en revient aussi gaie qu’un panneau « Interlude » un soir de grève sur l’ORTF.
A l’école, ce n’est guère mieux, car l'acariâtre maîtresse -- que serions-nous sans l’indispensable Louise FLETCHER ? -- s’amuse à bouffer des grenouilles, qui, précisons-le quand même, ne sont ni cuites, ni… mortes !
Pour en avoir le cœur net, le p’tit joufflu décide de suivre la virago sur les lieux de l’atterrissage… et c’est peu dire que la tension est à son comble quand celle-ci (et le morveux qui lui colle aux basques) pénètre dans le vaisseau-mère, enseveli sous les sables !… Et pourtant, patatras !… Les jeux sont faits, rien ne va plus !… à compter de cet instant précis, tout va partir en sucette et tomber de Charybde en Scylla.
Prêts pour la cata, la catata, la catastrophe ?...
Alors on y va !


(1) Remarquez, pour de l’inénarrable, je vous en ai quand même pondu trois pages !...


jeudi 5 janvier 2012

THE DEADLY BEES (le dard mortel, 1967°

LA MUSIQUE ADOUCIT LES MOEURS # 7

par Valentine DELUXE

Pour notre rentrée sur votre blog bien aimé (à ce propos, va falloir ramasser le courrier, ouvrir les fenêtres et aérer un peu, car ça faisait quand même un bail que nous n’étions plus passées au bureau ; mille excuses et tous nos vœux au passage !), je vais faire quelque chose que ma rédactrice en chef préférée n’osait même plus imaginer dans ses rêves les plus fous : un article court, bref et concis !
Si si si, je vous jure ! Aujourd’hui, pas de digressions, de périphrases, de préambule... Je me concentre sur mon sujet, je m’y tiens, et je ne prends pas la bande de traverse pour aller papillonner dans les verts pâturages de mon imagination débordante.
Regardez, là par exemple, pour vous présenter mon film du jour, je vais faire simple :


Voilà ! L’essentiel est là, pas besoin d’en rajouter, le titre est suffisamment évocateur pour que je ne vous embête pas avec un résumé qui ne ferait qu’alourdir ma prose. Nous savons que vous avez assez de jugeote (ou tout du moins accès à un logiciel de traduction type « Google ») pour comprendre que « The Deadly Bees » se traduit peu ou prou par « Les Abeilles meurtrières ». Et « Les Abeilles meurtrières », c’est quand même plus parlant qu’un titre de film de Marguerite DURAS  (1).
Donc, pour rester dans le style sans chichi que je me suis promis d'observer ici : 
C’est une histoire d’abeilles !
(Un peu comme Moby Dick, sauf que dans ce truc-là, il s'agit une baleine...)
(Note de BBJ : Vous avez quand même raison de préciser, chère Valentine. D'aucuns pourraient croire qu'il y est question de la bite de Moby...)


Moby / Dick

Mais comme nous sommes dans la rubrique musicale de MEIN CAMP, point de butineuses dans l’extrait qui suit -- et pas de baleine non plus, d’ailleurs --, juste une cruche qui chante sur un plateau de télé (pas mal comme concentré d’infos, vous ne trouvez pas ?...) Si nous étions chez nos amis de SOYONS-SUAVE (un blog dont nous ne louerons jamais assez la prodigieuse fantaisie, l’incroyable érudition, et surtout… la phénoménale fertilité éditoriale, qui nous laisse aussi ébahies qu’envieuses !...), vous pourriez vous croire en train de feuilleter le fameux « instant fourrure » !


En effet, devant les caméras d’un studio de télévision que l’on peut légitimement imaginer surchauffé (vu la taille des caméras, on se doute bien qu’ils ne s’éclairent pas à la lampe de poche !), la gueuze qui va nous geindre une de ces horribles rengaines dont le cinéma anglo-saxon des années 60 était si friand, n’a rien trouvé de mieux à enfiler pour enregistrer son vieux sourd qu’un merveilleux mais épais, très très épais manteau de vison à capuchon ! Forcément, l’incident n’est pas loin, vous pouvez me croire sur parole...
Remarquez, si ça ne suffit pas, vous pouvez toujours regarder l’extrait qui suit.





(1) : Ceci dit, ce film, jamais distribué en France, eut droit à une sortie dans mon bel et plat pays sous un titre tout aussi évocateur, quoique légèrement plus poétique : « Le Dard mortel » (rien de grivois derrière tout ça, rassurez vous...)