"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



vendredi 27 septembre 2013

MARTHE RICHARD AU SERVICE DE LA FRANCE


French Camp #3 :

"Danse avec les stars"

Par Valentine Deluxe

Ce soir, vous êtes prévenus mes petits chats : c’est au combat des chefs que nous vous convions pour notre rentrée académique !
Le Choc des Titans, la Guerre des Etoiles, des pointures, des épées, des dessus de cheminée, des palmes d’or... C’est pas mal, ça, pour recommencer notre nouvelle saison.
Du crêpage de chignon historico-homérique, du cat-fight  de compet’ qui relègue les prises de bec Alexis (Morrell) Carrington / Krystle (Jennings) Carrington aux pages les plus aimables de la petite Bibliothèque Verte.
… et le tout en musique, s’il vous plaît !

Un décor de rêve, des costumes étincelants et une distribution époustouflante : c’est Noël avant l’heure sur Mein Camp !
Les affrontements au sommet ont toujours eu la cote auprès des producteurs de cinéma. Hollywood l’a vite compris, de  « Frankenstein meets the Wolfman » à "Freddy Vs Jason". 
Tokyo n’est pas en reste, où « King-Kong contre Godzilla » a lancé la mode prolifique des guest-stars de taille aux côtés de notre grand vaurien de saurien. Et il n’est pas jusqu’à Mexico, où Santo (le catcheur en slip moulant) affronta toute les grandes figures de l’épouvante et de la science-fiction.

 "Y'en a un peu plus, je vous les mets quand même ?"

Mais du côté de la patrie de Descartes et d’Yvette Horner (non, ne cherchez pas un lien entre ces deux figures, je viens de sortir ça comme ça !) avons-nous un exemple d’affrontement de grande amplitude, dont la simple évocation soit une semblable promesse de frissons émoustillants pour des régions anatomiques que la décence m’interdit de nommer ?
Un producteur audacieux a-t-il jamais osé rêver quelque chose du genre  « Fantômas contre Belphégor » ? 


 Avouez que c'est alléchant comme proposition, non ?

Eh bien oui, il y en eut un, et grâce lui en soit rendue ici !
En 1937, Robert Hakim, celui qui n’était pas encore le producteur prestigieux de « Belle de jour », de « Casque d’Or » ou de « La Bête Humaine », mais juste un débutant aussi ambitieux que peu scrupuleux (la liste des artistes ayant travaillé pour lui et n’ayant jamais reçu leurs émoluments -- de Jeanne Moreau à Michel Legrand -- serait trop longue à retranscrire ici) jeta sont dévolu (et un maigre budget qu’il ne remboursa sans doute jamais complètement à ses commanditaires) sur les mémoires aussi inexactes que farfelues du chef du contre-espionnage français durant la 1er Guerre Mondiale, le commandant Ladoux.
Et dans ce rocambolesque ouvrage, l’auteur nous relate de façon on ne peut plus partiale, les heurs et malheurs  de deux « grandes » figures de l’imagerie populaire associées à cette effroyable boucherie :
Marthe Richard et Mata-Hari.
C’est donc de ce face-à-face légendaire que Robert Hakim décida de traiter dans son premier film en tant que producteur attitré, « Marthe Richard au service de la France »
(dont le titre à lui seul vous donne déjà le ton quant à la subtilité de l’entreprise. )

 Une affiche superbe, pour un film tout en nuance et sobrieté !


Il faut toujours faire gaffe avec la postérité, ça peut vous ruiner une réputation comme personne.
Or donc, la première de nos deux cadors, Marthe Richard, est maintenant passée dans l’imaginaire collectif non plus comme un mélange de Madelon héroïque et de mère courage, mais comme une affabulatrice hystérique responsable de la fermeture des maisons closes (qu’elle connaissait fort bien pour y avoir travaillé pendant quelques années en simple pensionnaire, modeste et laborieuse, mais toujours prête à bien faire).
Quant à la seconde, la pauvre Margaretha Zelle, plus connue sous son pseudonyme exotique de pacotille, elle est maintenant quasi-unanimement dépeinte comme la victime innocente d’une effroyable machination d’état qui la fera finir, « pour l’exemple »,  sous les feux croisés d’un peloton d’exécution, dans les fossés du château de Vincennes. 


 Deux femmes, deux styles: le choc des titans !
En 1937, et devant les cameras de Raymond Bernard, auteur autrement plus inspiré quand il adapte Victor Hugo -- voir sa magnifique et définitive adaptation des « Misérables » avec Harry Baur, en Valjean --, c’est un tout autre tableau qui nous est dépeint.
Marthe Richard y est une frêle et vertueuse héroïne, personnalisant à elle seule toutes les vertus de la France, et prête à en découdre avec le péril teuton.
Coup de génie du producteur, elle est incarnée avec la sobriété qu’on lui connaît (Mwa-ha-ha-ha [1]) par Mme Edwige Feuillère-de-la-Comédie-Française :





Mata-Hari, quant à elle, ne fait pas non plus dans l’ambiguité ou la nuance : c’est le démon personnifié, le choléra, les 10 plaies d’Egypte à elle toute seule !
Elle tue, triche, ment avec délectation, et ne recule devant aucune perfidie ni ne s’embarrasse de la moindre subtilité  pour se faire détester des spectateurs.
Elle n’a qu’une faille à sa méchante cuirasse : elle est éperdument amoureuse d’un homme encore plus infâme qu’elle, le colonel van Ludlow… qui lui, pour compliquer l’histoire, la traite comme le dernier des mufles et n’aura d’yeux que pour notre exemplaire Mlle Richard !
On peut s’interroger, en voyant le film, sur la fascination que la danseuse exotique peut exercer sur les hommes, tant elle porte la vilenie de son âme sur son visage… elle est en effet d’une rare laideur, un vrai repoussoir !
Notons au passage, pour vous faire d’ores et déjà saliver de plaisir, que Herr Von Ludlow est incarné par « l'homme que vous aimerez haïr », l’immense Erich Von Stroheim, réduit à vivoter comme il peut de seconds rôles indignes de son génie après sa disgrâce hollywoodienne.





Evidemment, quand les deux donzelles se retrouvent à  partager la même scène, même si elles ne s’adressent pas la parole, on comprend très vite – toujours par la grâce de  l’incroyable subtilité des scénaristes/dialoguistes [2] -- que ces dames ne finiront pas copines comme cochonnes, à faire les boutiques et les salons de thé, pour le générique final.




Bon, maintenant, sans vraiment changer de sujet, laissez-moi vous parler de ma lubie du moment... Je sais que j’ai un sens des ressemblances pour le moins « original » !
Pour mémoire, j’avais avec audace osé trouver un air de famille  entre Coral Browne et Marthe Villalonga.
Eh bien, dans le même ordre d’idée, depuis que j’ai découvert ce merveilleux  film, je me suis toquée d’une nouvelle association brumeuse.
Oui, preuve à l’appui, je vais vous étayer une ambitieuse théorie, vous démontrant par A+B que l’inoubliable Zaza Napoli de « La Cage aux folles » aurait peut-être pu être inspirée par les tremolos et les effets de voix de Mlle Feuillère.
Ah ! Qu’est-ce que vous dites de ça ???

Pour bétonner cette thèse audacieuse, rappelons que Michel Serrault, dans son merveilleux livre de souvenirs « …Vous avez dit Serrault ? », nous raconte les mésaventures qu’il endura en partageant avec ladite Edwige l'affiche de la pièce de Françoise Dorin,  « Les Bonshommes », sur les planches du Palais-Royal.
Edwige Feuillère, en bonne cabotine qui se respecte, faisant tout pour « voler » les scènes de ses partenaires, Michel Serrault fit un soir une sortie de scène tonitruante, en éructant un « Elle fait chier la vioque ! », qui sera entendu jusqu’aux premiers rangs.
Notre prima dona ne lui pardonna jamais complètement cette peu discrète allusion aux « quelques années qui les séparaient » -- 21 ans pour être exacte !

Nous pouvons donc imaginer très sérieusement une sorte de règlement de compte à l’amiable en nourrissant les excès de Zaza des tics de la chère Edwige. Et maintenant, la preuve par l’image :

Pièce numéro 1 :





Le haussement de sourcil rêveur qui accompagne le « Quand finira-t-elle ?... » me rappelle indubitablement ceci :




Pièce numéro 2 :

Quant à cette supplique au commandant Ladoux...


... elle m’en rappelle une autre de Zaza, faite également pour attendrir un chef du contre-espionnage :



Donc, on récapitule :
1)






2)




Edifiant non ?...
… Non ???




[1] Rire diabolique teinté d’un voile d’ironie

[2] Idem