"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



dimanche 29 mai 2016

I'LL CRY TOMORROW (Une Femme en Enfer, 1953)

SPÉCIAL FÊTE DES MÈRES

"(Stage)Mother Courage"
par Valentine Deluxe



"Stage Mother !"

Depuis 6 ans que nous honorons pieusement - mais toujours avec un faste certain - la Fête des Mères (noires), nous n'avions pas encore abordé ce spécimen typique de la genitrix horribilis du cinéma lacrymogenico-hollywoodien : la Stage Mother !
Oui, là, je vous le laisse en V.O., parce qu'on a eu beau le tourner et le retourner dans tous les sens, faire des brainstormings, des heures sup', des séminaires et tout le saint-frusquin, nous n’avons pas été foutue de trouver une traduction satisfaisante dans la langue de Molière.
"Stage Mother", littéralement "mère de scène" ou "mère de théâtre", ça n'existe pas chez nous ! 
Mais de l'autre côté de la mare aux harengs, cette appellation d'origine contrôlée vous vaudra systématiquement deux types de réactions bien distinctes.
Tout d’abord, vous avez cette approche, nette, franche et sans ambiguïté :


Ou chez les plus atteints (dont nous nous réclamons fièrement), vous avez celle-ci :

Bref, pour nous, c'est le Nirvana, le Walhalla, le jackpot, le rang 1 (avec joker) à l'euro-million du camp !
Evidemment, si ce concept vous est encore étranger, ça vous fait une belle jambe... Mais si vous vous promenez sur ce site, avec comme circonstance aggravante une tendance à la récidive, vous savez que vous pouvez nous faire confiance : la stage mother, c'est du caviar de nanan de velouté de camp !
Impossible d'aborder ce sujet sans glisser dans l'exquis excès qui nous ravigote, nous enchante et nous ensorcèle !
Surtout que, un bonheur ne venant jamais seul...  y a un cadeau BONUX !
En effet, pour aborder cet incontournable morceau de l’esthétique de la suave déviance, nous appelons en renfort un pilier, un cador, une des 7 merveilles du monde de l'outrance cinématographique :
Et là, qu'est-ce qu’on dit ?...
"Mais comment se fait-il que n’ayons pas encore parlé de..."

 6 ans sans parler de Jo Van Fleet :
on en a fusillé pour moins que ça au Chemin des Dames !

Mais oui, Jo Van Fleet, l'incontournable Jo van Fleet !
L'effroyable Mme Dioz qui terrorise ce pauvre Trelkovsky/Polanski dans "Le Locataire", la tenancière de bordel dans "A l'Est d'Eden" (qui lui valut un Oscar au passage !), plus un nombre appréciable de matrones, de mégères, de pisse-glaçons...
Comment se fait-il, sacré nom d'une pipe en bois, qu'on ait pu laisser passer 6 ans et 150 articles avant de vous parler de Jo Van Fleet, voulez-vous me le dire ?
(Huh ?... Qui a dit "Alzheimer"???... Sortez !)

Encore une qui ne rit que quand elle se brûle !

Donc, avant de commencer, "Jo Van Fleet", c'est un label de qualité. Elle nous lirait le bottin téléphonique, pages blanches et pages jaunes à la suite, qu'on en pleurerait quand même de bonheur.
Mais du bonheur, il va en suinter de partout. Parce que, mes petits chéris,  pour cette Fête des Mères 2016, la génitrice en question est bien entendu la Van Fleet... Ben oui, J.V.F. fait partie de ces actrices "de caractère" qui ont toujours eu un train d'avance, abonnée qu'elle fut aux rôles de mères, voire de grand-mères - même si, dans l’œuvre qui nous occupe aujourd'hui, elle n'a que deux ans de plus que l'actrice qui interprète sa petite vipère de fille.
Et puisque je vous parlais de bonheur - attention ! petit frisson orgasmique garanti ! -, la rejetonne de notre mère-courage du jour (ou "stage mother courage" comme je l'ai merveilleusement baptisée dans mon merveilleux jeu de mots merveilleusement subtil et irrésistible, mais foutrement intraduisible), c'est qui ?
Qui est la méchante fifille à sa môman, cause de bien des désagréments, d'avanies, de petites et des grandes misères ?
Attention, suspense et roulement de tambour...



Et la gagnante est :

Oui, je sais, moi aussi ça me fait plaisir !...
Est-il besoin d'ajouter que le film qui nous intéresse s'appelle "I'll cry tomorrow"/"Une Femme en Enfer", et qu'il est de Daniel Mann (autre cause de bien des pâmoisons au sein de l’équipe rédactionnelle de MC) ?
Bref : entrée/plat/fromage ET dessert, c'est du quatre étoiles au Michelin du camp, tout ça!
"Une Femme en Enfer" est une pure pépite, l'un de ces diamants noirs taillés et polis avec amour, présentés dans un merveilleux écrin avec un beau gros nœud autour pour faire joli !
C'est aussi un délice à tous les niveaux de lecture.
Au premier degré, nous avons un formidable biopic doté d'une distribution de rêve, de beaux costumes oscarisés, d'un noir et blanc impeccable, le tout mis au service d'une histoire bouleversante propre à irriguer généreusement les canaux lacrymaux les plus arides - le titre français est pour une fois idoine, car nous assistons effectivement à l'une des pires descentes aux enfers jamais filmées.
De l'autre côté, évidement, avec le duo féminin en tête d'affiche, nous sommes en plein mélodrame  excessif comme on les adore - pourrait-il en être autrement ? -, dans lequel chaque affrontement mère/fille se change automatiquement en un tour de force qui pourrait faire passer le lancer de moumoute d'Helen Lawson ou les cintres en fil de fer de môman Crawford pour de la roupie de sansonnet.

"Attachez vos ceintures, ça va secouer !"

Ça va ? Vous êtes prêts ?... Je vous préviens tout de suite : prenez un fauteuil confortable, un apéro, un paquet de chips, parce que c'est du costaud, aujourd’hui ! Comme il est difficile d'opérer une sélection dans cette merveille, on a joué la carte de l'abondance !
Et pour bien commencer, voyons ce qu'est précisément une stage mother. Pas la peine d'en rajouter, les images parlent d'elles-mêmes et valent tous les dicos du monde...



La bonne nouvelle est qu'à force d'acharnement, de persévérance, et de couleuvres avalées avec un bol de soupe aux cailloux, elles vont finir par atteindre le but visé : le Sommet !
Qui est-ce qui avait raison encore une fois et comme toujours ?... Môman Van Fleet, bien sûr !
Sauf que, comme il fallait s'y attendre avec une chose aussi inconséquente et écervelée que cette petite Lillie, l'âge ne bonifie rien ; et même devenue grande, la fâcheuse pécore continue de faire tourner bourrique sa valeureuse maman. 
Voilà qu'on se pique de tomber amoureuse ! Voilà qu'on ose revendiquer son indépendance ! - indépendance mon pied, quand on rêve de devenir une parfaite femme au foyer tout juste bonne à attendre monsieur avec les pantoufles et le journal à la main, pendant que le souper mijote en cuisine !



A voir la tête de Mme Roth, pas besoin de vous faire un dessin, le constat est clair :



Heureusement, tout vient à point à qui sait attendre !
C'est pas qu'elle lui souhaiterait du mal, à ce bellâtre prétentieux qui bousille d'un sourire "pepsodent" les beaux plans de carrière patiemment et laborieusement échafaudés... mais s'il pouvait lui advenir quelque menue bricole, genre maladie incurable et fatale, ça ne serait pas foncièrement pour lui déplaire.
Eh bien, voilà ! Aussitôt rêvé, aussitôt exaucé !... Y a vraiment un bon dieu pour les stage mothers.
Voilà-t-i pas que notre roucoulant séducteur nous chope une petite infection foudroyante, et crac ! chez Borniol !
Dès lors, on croit pouvoir se dire : "Tout est réglé, finies les mistoufles !"... Eh ben non ! les emmouscaillements ne font que commencer !
Car en effet, mademoiselle commence à nous la jouer drama queen inconsolable, et pour tout dire franchement chiante, odieuse et ingrate !
Ne restera bientôt plus à mamouchka qu'à se replier derrière les lambeaux épars de sa dignité bafouée !


Très vite, plutôt que d'écouter les bons conseils de sa sainte mère, Lillie-la-Tigresse préfère noyer ses larmes de crocodile dans le casse-patte d'une distillerie clandestine... Mademoiselle "Je-Sais-Tout" vire au sac à vin patenté.
Mais peut-on cacher quoi que ce soit à une maman ?


Et là, c'est la descente infernale, façon grand-huit à la Foire du Trône. C'est le toboggan de la mort, la chute de Babylone, le Titanic, le Hindenburg, tout ça dans les vapeurs rosées des crises de délirium éthylique de Mam’zelle Bec-en-Zinc.
Disons-le tout net : qui n'a pas vu Susan Hayward revendant son vison chez un prêteur sur gage pour aller se pochetronner dans les caboulots crasseux des bas-fonds new-yorkais n'a rien vu !

Le glamour en prend un coup, c'est sûr !

Et mamina dans tout ça ?
Ben, c'est fini le p'tit mandat toutes les semaines, fini les aigrettes et les tailleurs chics, fini de faire la nouba dans les clubs à la mode. Sa ciguë de fille l'entraîne dans sa dégringolade apocalyptique.
Et c'est précisément à ce stade de l'intrigue que nous arrivons à LA grande scène !
Par l'ampleur que les deux comédiennes donnent à cet affrontement, le face-à-face atteint ici une dimension absolument légendaire !
Comment ne pas s'ébaubir devant cette façon follement géniale de jouer le pathos et l’excès avec une amplitude propre à en faire profiter les spectateurs du dernier rang du dernier balcon du Radio City Music-Hall ?...
Moi, personnellement, chaque fois que je revois le film - et cette scène en particulier -, je ne peux me défendre de rire aux éclats et de fondre en larmes dans le même élan !
C'est brillant, c'est dément, bref ! c'est complétement indispensable !




Et voilà ! Comme toujours, j'ai mon rimmel qui part en confiture...
Trop de bonheur d'un coup, sans doute...
Pour conclure, n'oublions quand même pas que la stage mother est une mère comme les autres (ou presque) ; alors... 



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