"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



lundi 26 mai 2014

SALOME (1953)

"Stupeur et tremblements (de menton)"

SPÉCIAL FÊTE DES MÈRES

par Valentine Deluxe








Bien, maintenant pour notre seconde ode à l’institution maternelle, nous devons d'abord nous élever quelque peu dans l’échelle sociale.
C'est même carrément un monte-charge qu'il nous faudrait pour faire pareil saut, car nous allons passer en un claquement de doigts impeccablement manucurés, des bas-fonds des faubourgs parisiens aux hautes sphères du pouvoir de l'antique Galilée.
Adieu balatum et formica de l’hôtel Bijou, vive les ors et les marbres du palais d’Hérode-le-Grand !

Laissez-moi donc vous présenter une mère (et une famille)  tout ce qu'il y a de moderne.
Hérodiade, petite fille du ci-plus-haut nommé Hérode-le-Grand, et concubine "en seconde noce" - si j'ose dire - de Hérode Antipas (dit "le petit" par les médisants).

Là où nos tourtereaux font preuve d'une foudroyante audace,  c'est que l'un et l'autre n'ont point eu la sagesse d'attendre un quelconque veuvage pour tomber dans les bras l'un de l'autre.
... Ne parlons même pas de divorce, il n'existait pas en 28 après J-C !
Et Hérodiade de passer,  d'un bon d'un seul, sans PACS ni trompette, du lit conjugal, encore tout moite et tout chaud de ses ébats avec Herode Boëthos, à la  royale couche de son tétrarque de beau-frère (donc le frère de son mari, qui se trouve être aussi son oncle !!!)
De plus, comme il faut bien prendre l'arbre avec ses branches, notre famille recomposée doit aussi compter sur le fruit des entrailles (volages) de Madame Hérodiade ; une grande gigasse dégingandée du nom de Salomé .
Very very "2014" comme situation parentale, vous ne trouvez pas ?

Hérodiade, une femme qui savait recevoir !

Pour vous dépeindre cette touchante saga familiale, on n'a pas regardé à la dépense et c'est un régal que de retrouver dans les affliquets chatoyants* d'Hérodiade, l'immense Judith Anderson ("Rebecca", "La Chatte sur un toit brûlant", etc.)
Elle se pose ici en championne toutes catégories du tremblement de menton, afin de nous exprimer, tantôt la dignité outragée, tantôt l'expression de quelques machiavéliques complots qu'elle est en train d'ourdir.
La chair de sa chair n'est autre que la sculpturale et vertigineuse Rita Hayworth, qui a l'air ici de faire au moins 3 têtes de plus qu'Esther Williams !
Quant au concubin, beau-père, oncle et grand-oncle de ces dames (ouf ! Accrochez-vous à l'arbre généalogique, je retire l’échelle !), nous avons droit à un Charles Laughton  plus cauteleux et geignard que jamais, toujours prêt à cacher dans un de ses multiples et adipeux mentons, les  concupiscentes pensées qu'il nourrit pour sa trop jolie belle-fille.



Charles Laugthon et Rita répétant une 1ère version de la danse des 7 voiles
(curieusement non retenue au montage).

Et quand je vous dis que notre vaillante Hérodiade a des soucis d'une troublante modernité !
Elle qui avait envoyé sa gueuse de fille au lycée à Rome, pour parfaire une éducation qu'elle voudrait sans tache : bernique !
Voici la vilaine qui revient sous bonne escorte, bannie à jamais comme la dernière des loqueteuses, après avoir fricoté avec le neveux de l'empereur Tibère, et essayé vainement de lui passer la bague au doigt.
La réaction du tonton et divinité vivante fut sans appel : 
Dehors la romanichelle !
Vous qui pensiez que le comble du désespoir serait de voir votre petit dernier revenir de l’école avec un billet du proviseur, écrit au bic rouge, dans son journal de classe, imaginez un peu la déconvenue de notre pauvre Hérodiade !



Et vous croyez que ça ne lui ferait pas encore assez d'emmerdements comme ça ? 
Bien non, elle doit aussi composer avec une sorte de Christine Boutin de l'époque : 
Jean-Baptiste, un hippie crasseux, pas encore saint, qui fait sa bégueule,
 en haranguant les foules de péquenauds dans le désert et sur les places de marchés.
... Les "manifs' pour tous" du premier siècle, quoi !




Saint-jean Baptiste ou Christine Boutin : même discours, même combat!

Notre pauvre chérie, elle voudrait bien se reposer sur les épaules de son Jules, mais non, môsieur, chatouillé par le démon de midi,  est plus enclin à courir la gourgandine qu'à porter secours à sa brune.
Pour être juste, il faut reconnaître que notre Hérodiade, on  la trouverait plutôt au rayon  "ventes rapides" qu'en tête de gondole dans les primeurs. 
Comme on dit dans le métier : "elle a fait la boutique" !



Bon, vous avez déjà bien compris qu'elle ne doit pas s'attendre à ce que sa chiffe molle d'Hérode Antipas ne lève le petit doigt (qu'il a fort boudiné le bougre) pour la défendre des attaques perfides de l'autre illuminé. Mais croiriez-vous qu'elle puisse trouver un peu plus de compréhension chez son p'tit chameau de fille, et surtout un peu d'aide et de soutien dans les coups durs, notre mère-courage du jour ?  
Rien, nada, broquette, que dalle et tintin la balayette !


Oui, enfin, faut quand même vous dire que même si elle nous fait sa mijaurée, elle la fera sa petite danse avec révérence - le suspens est un peu éventé.
Ben oui quoi, si Salomé n’avait exécuté son traditionnel strip-tease biblique, tel que stipulé dans le cahier des (dé)charges, il y aurait eu à tous les coups de la mutinerie chez le spectateur mâle post-pubère dans tous les cinémas de l'époque.
Mais de toute façon, calmons-nous, calmons-nous : en 1953, la danse des 7 voiles ne permit même pas à Salomé/Rita Hayworth de dévoiler son nombril :  le terrible code Hays veillait au grain !

7 voiles mais pas de nombril, comme le code Hays le préconise!

Enfin, encore une fois, nous avons vérifié l'équation mein-campienne que je vous serine chaque année :
Toute saintes qu'elles soient, les mamans n'arrivent jamais qu'à enfanter des petites infections aussi ingrates que méchantes.
Et ces infectes petites rejetonnes ne pourront poser leur candidature à la canonisation qu’après avoir, elles aussi, connu les douleurs de l’enfantement. 
C’est imparable, et ça se vérifie à chaque film que nous vous présentons ici à pareille époque depuis 4 ans maintenant ... et pour les siècles de siècles (amen !)...

Allez, avant de nous quitter, je ne peux résister à vous mettre encore un petit coup de menton de Dame Judith "Hérodiade" Anderson! 
Vous êtes prêts ?... Attention, c'est bref et subtil, à la limite du subliminal... mais c'est tellement bon!...





...Et voilà pour l'édition 2014, à l'année prochaine!




*Pour les collectionneurs, la plus belle des robes, très "new age" de son altesse Hérodiade est en vente en ligne pour la modique somme de 950$,:


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire