"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



jeudi 31 décembre 2015

LES MYSTERES DE PARIS (1943)

La fête à Germaine, chapitre 2

"Elle est chouette ma gueule ! " 

Par Valentine Deluxe



Alors aujourd'hui, je vous propose de plonger jusqu'aux racines du mal, de remonter à la genèse du mythe.
Les ogresses, les fielleuses, les malfaisantes, La Kerjean, elle en a incarné ("campé", comme on aime à le répéter ici) avec une générosité dont nous ne pouvons que lui être éternellement reconnaissants. Mais dans sa longue et passionnante carrière, 1943 reste à marquer d'une pierre blanche.
En effet, non contente de nous avoir déjà régalés avec l'infecte Mme Boinet de "Cécile est morte!", elle bissera pour nous offrir un doublé jubilatoire, en enfilant des guenilles aussi crasseuses que l'âme d'un des personnages les plus abjects et effroyables de la littérature populaire :
L'horrible "Chouette" des Mystères de Paris de ce cher Eugène Süe


... gueule d’atmosphère...

La Chouette, et son "mari" et acolyte en turpitudes "le maître d'école", sont des cadors de l'infamie, des têtes de gondole de l'abjection, deux verrues sur le nez de l’humanité (souffrante) ne reculant devant aucune bassesse ni ignominie, et pour qui tous les coups - surtout les plus pendables - sont permis : 
Vol, rapt, maltraitance, sévices corporels et psychologiques divers, proxénétisme, assassinats en tout genre... et la liste n'est pas exhaustive, loin s'en faut !

Tenter de résumer l'intrigue des "Mystères de Paris" relève de la gageure olympique!
Les 1500 pages du brave Eugène sont fichtrement plus complexes, excitantes et riches en rebondissements que "Plus belle la vie" et "Les Feux de l'amour" réunis.
Et moi qui aurait déjà bien du mal à vous synthétiser le pitch de "l'arroseur arrosé", j'aime autant abdiquer !
Alors, essayons juste de tracer les grandes lignes de cet incroyable imbroglio, en plaçant le focus sur les personnages qui nous occuperont aujourd’hui.


La Chouette est aussi très bricoleuse à ses heures...


Pour faire simple, "on dira qu'on dirait" que ça serait l'histoire de deux bistrotiers à qui l'on a confié une pauvre petite enfant, frêle et innocent fruit d'amours illégitimes, et qui n'ont de cesse de tourmenter la pauvre petite en la réduisant à l'asservissement le plus complet...  

Et là, vous vous arrêtez et commencez à penser que la Valentine, elle travaille de la cafetière, qu'elle perd ses tartines, qu'elle sucre les fraises, car bien sûr vous avez reconnu les Thénardier des "Misérables" du père Hugo.  
Bon, allez, on peut vous le dire maintenant : le grand Victor était une vilaine tricheuse qui regardait par-dessus l’épaule de son camarade Eugène !

Vilain copieur l’élève Hugo!

Mais rendons à Süe ce qui appartient à Eugène, le succès  des "Mystères" fut tel qu'il engendra toute une kyrielle d'imitations, des plus médiocres aux plus flatteuses : Hugo donc, mais aussi Zola avec ses "Mystères de Marseille", Dumas et  "Les Mohicans de Paris", et même Dickens, dont l'effroyable Mme Defarge, la revêche "tricoteuse" dans "Un Conte de deux cités" semble être une digne émule es-monstruosité de notre bonne vieille Chouette.

Bon, mais la Kerjean dans tout ça?
La Kerjean, elle jubile, elle exulte, elle s’éclate à s’enlaidir jusqu'à en être méconnaissable, avec sa bouche édentée, son nez en bec d'aigle et son œil crevé.
Et comme toute Grande Dame qui se respecte, sa première qualité, c'est de savoir soigner son entrée.
Alors poussons la porte du "Blanc-Lapin", et "pénétrons dans des régions horribles, inconnues, (où) des types hideux, effrayants, fourmilleront dans ces cloaques impurs comme les reptiles dans les marais." (1)
C'est la maison qui régale,  eau d'aff (2) pour tout le monde, nous sommes invités aux noces de La Chouette et du Maître d'école!


Alors attention, si elle ne voit que d'un œil, n'allez pas vous imaginer que vous allez pouvoir la rouler dans la farine comme une boule de Berlin ; elle est rude en affaires la Chouette !
Et avec elle, avant tout, les bons comptes font les bons amis !
Notez au passage (oui, je sais, c'est pas bien de rapporter) que bien que notre ogresse soit borgne, dans cette séquence - étourderie du maquilleur, du chef opérateur ? allez donc savoir ! - son p'tit œil crevé a une fâcheuse tendance à réapparaitre sous le subtil maquillage.


Et les affaires sont les affaires avec M'ame La Chouette, n'escomptez pas l'attendrir, même dans les situations les plus dramatiques. Un franc reste un franc, et un improductif reste une bouche inutile à nourrir, fusse celle de son légitime époux !


Et bien qu'on l'appelât la Chouette, on pourrait tout aussi bien la baptiser "La Pie", car elle a une fâcheuse propension à être attirée par tout ce qui brille.


Et maintenant, en guise de conclusion, attention, je vais SPOILER méchamment !
Car vous pensiez bien qu'une pareille engeance ne pouvait pas s'en tirer sans un très juste châtiment.
Remarquez qu'on ne pourra pas dire qu'elle ne l'a pas cherché un peu...


Vous aurez reconnu au passage, dans le rôle de Tortillard, un Jean Carmet à peine pubère et - restrictions et rationnements de ces noires heures obligent - un tantinet famélique.

Sur ce, merci Germaine, et à bientôt pour un nouvel épisode!

(1) "Les Mystères de Paris", Tome I, chapitre 1
(2) Eau de vie

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