"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



mardi 19 avril 2016

LA CHAIR DE L'ORCHIDEE (1975)

Les bonnes copines de Valentine #13

"La main de fer dans le gant de crin"

Par Valentine Deluxe


Est-il besoin de  rappeler que nous vouons une dévotion toute particulière, doublée d'un culte des plus fervents, à Edwige Feuillère ?
C'est un peu mon paludisme à moi, Edwige Feuillère : un mal chronique mais tout à fait gérable, avec de longues plages de calme et de répit, puis paf ! sans prévenir, de graves et soudaines rechutes, des pics fiévreux, des crises de délire obsessionnelles.


Madame Bastier-Wagener :
La main de fer dans le gant de crin ! 

De sa longue et invraisemblable carrière cinématographique, ponctuée de quelques chef-d’œuvres et (surtout) d'une kyrielle d’invraisemblables - mais toujours savoureux - nanars, où elle promène sa grâce et ses bonnes manières feutrées avec une égale conviction, intéressons-nous aujourd’hui à la conclusion.

Premier film de Patrice Chéreau et dernier de Ma'me Ponce*, "La Chair de l'orchidée" fait partie de ce que j'appelle les presque-grands-films.  
Pas un canard boiteux, mais un cygne qui, pour être majestueux, n'en n'est pas moins éclopé et plus que légèrement bancal. 
Tous les ingrédients sont là pour faire une œuvre importante, voire inoubliable, et malgré tout, allez savoir pourquoi, le soufflet retombe (parfois), la mayonnaise ne prend pas (complètement). 
Enfin, je dis "parfois" et "pas complètement", car il y a des compensations : pour chaque passage raté, il y en a un autre miraculeux qui suit ou qui précède.
Oh, bien sûr, il y a les scories classiques du film français "auteurisant" des années 70 :  hystérie galopante généralisée, déshabillage contractuel et systématique de l'actrice principale - Charlotte Rampling, toute en os et côtelettes saillantes -, scénario embrouillé et paysage pluvieux.
Bon, on a survécu à Zulawski, donc c'est pas encore ça qui nous tuera.

Regardez bien, car elle ne va pas rester habillée longtemps...

De l'autre côté, il y a les pépites de "l'orchidée": un sens incontestable du décor, une intrigue parfois illisible mais toujours envoûtante, et surtout - pour moi, pour vous, pour nous - un brelan de (Grandes) Dames tout ce qu'il y a de délicieusement indignes.
Commençons par vous présenter celles qu’on ne verra pas aujourd’hui: 
Alida Vali, énigmatique "folle de la gare", qui vous fait chavirer le cœur en 2 répliques, et (surtout) Simone Signoret, qui relève la gageure d'être plus mal fagotée que la veuve Couderc et plus bouffie que Madame Roza, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas un mince exploit !
Fabuleuse Lady Vamos - rien qu'à lire le nom du personnage, je sors mes fioles à sels de pâmoison... -, ex-reine d'un music-hall maintenant bien décati, et n'ayant plus pour seuls spectateurs que quelques rares et chétifs poulets (si !), elle apporte une merveilleuse parenthèse de douceur et d'humanité dans la folie collective qui semble avoir frappé tous les autres protagonistes de cette sombre - on est à deux doigts de la canne blanche et du chien-guide dans certaines scènes tant on n'y voit goutte ! - et sale histoire.

 Un conseil à Lady Vamos :
Faut virer votre coiffeur !

L'apparition de ces deux icônes aurait suffit à mon bonheur, mais ça n'est pas tout, puisque, rappelons-nous (enfin, rappelez-le moi surtout, car j'ai tendance à me disperser, ces temps-ci) que nous sommes ici pour parler surtout de la 3ème de ces sphinges majestueuses et lézardées par le temps.

Je ne vais pas vous faire le coup du suspens, je vous ai tout soufflé dès le départ : la meilleure carte de cette main exceptionnelle, c'est Mme Bastier-Wagener, la magnifique/merveilleuse/incomparable (biffer les mentions inutiles... mais y a-t-il une mention inutile ?) Edwige Feuillère, ici dans sa dernière apparition sur un écran de cinéma.

Une Grande Dame comme je les aime...

Mme Bastier-Wagener, c'est une dame comme je les aime : à savoir une GRANDE Dame.
Hautaine, tyrannique et malfaisante, elle n'a que des qualités... ou tout du moins, les qualités requises pour finir en nos colonnes.
Parmi le nombre incalculable d'injustices dispensées par les Académies des Arts et Techniques du cinéma - qu'elles soient de l'ancien ou du nouveau monde -, nous soulignerons l’absence criante de la moindre nomination pour le dernier tour de piste, façon Medrano, de La Feuillère, qui aurait pourtant bien mérité pour l’occasion son dessus-de-cheminée.

 C'est pas celui de Mme Bastier-Wagener,
ça c'est sûr !

Car il faut bien dire les choses comme elles sont - et je vous jure que je suis d'une objectivité d'airain ! -, elle est juste magnifique ici, notre Edwige.
Parfaite dans la moindre respiration, le moindre haussement de sourcil, le moindre silence...
De ce type de performance qui tire un film  vers le haut, lui donne une aura, un cachet, une patte absolument inoubliable.

N'ayant pas (encore) lu le roman de James Hadley Chase - vraie/fausse suite de son cultissime "Pas d'orchidée pour Miss Blandish" -, je ne saurais dire à qui, de l’écrivain ou du scénariste - Jean-Claude Carrière, pas un bras cassé non plus, faut bien le dire - revient le mérite d'avoir créé la fabuleuse Mme Bastier-Wagener.
Prête à toutes les vilénies, toutes les bassesses, tous les machiavélismes, elle déploie une incroyable  énergie tout au long du film pour que l'immense fortune de  feu son frère ne tombe pas entre les mains de la  petite-fille de celui-ci. 
Donc, suivez moi bien, il n’était autre que le papa de celle qui n'avait pas eu ses orchidées dans le bouquin précédent... Oui, je sais, c'est un peu embrouillé tout ça...

"Homicidal maniac" qu'on vous dit !... Faut l'enfermer!

Et tant pis si, pour ce faire, il faut faire passer la pauvre enfant pour une dingotte jusqu'au trognon et l'interner ad vitam dans un institut psychiatrique à côté duquel Alcatraz ressemble à un village du Club Med (3 tridents !)
Évidemment, le jour où la tendre chérie met les voiles, non sans avoir pris la peine auparavant d'arracher un œil à son gardien, ça complique un peu une affaire qui n’était déjà pas simple à la base.

Alors, voyons tout de suite comment Mme Bastier-Wagener prend la chose...




Merveilleuse apparition, n'est-il pas ?
Rien que sa façon de dire : "Nous vivons comme des bohémiens, mon fils et moi", pour moi, ça valait Oscar, César, Palme d'or, Ours, Lion et tout le bestiaire, par poignées de douze !
Et ce léger sourire vicieux sous la voilette, quand le médecin lui narre la raison de l’évasion de sa petite-nièce !!! 
On soulignera cependant au passage une grande maladresse du metteur en scène, car plutôt que de nous la faire découvrir, toute auréolée de mystère, dans cette scène splendide, il rate son effet en nous la montrant banalement quelques instants plus tôt, dans un plan nettement moins iconique et indispensable.
Enfin, passons...

Dans notre 2ème extrait, ça vire carrément au star-turn ; Chéreau ne peut pas cacher la profonde fascination - comme nous le comprenons ! - que Feuillère semble exercer sur lui.
Regardez bien l’autorité dans le moindre regard, le geste le plus anodin... C'est sublime, je ne vois pas d'autre mot !
Et cette façon déconcertante qu'elle a de passer en un claquement de doigts du mielleux - quand elle balance quelques excuses vaseuses justifiant l'internement de la pauvre Rampling - à la dureté la plus glaçante - dès qu'elle apprend qu'elle n'est plus là.
Je l'adore, je l'adore...





Et nous avons bien évidemment gardé le meilleur pour la fin, la cerise confite sur la pièce montée , le Nirvana, le Walhalla, l’ascenseur-express pour le 7ème ciel... le 8ème ou le 9ème même, peut-être, ne soyons pas chiche !
Si nous n'avions pas peur de tomber dans la trivialité la plus plate, nous vous dirions que c'est bandant, voire orgasmique !... Mais les glissades dans le sordide, très peu pour moi.





"Vous pourriez m’enfermer pendant 15 ans, je ne baiserais pas ce monsieur !"
C'est beau comme une crèche, non ? 

Bon, maintenant, s'il est (déjà) l'heure de dire "adieu" à Mme Bastier-Wagener, nous ne lancerons qu'un simple "au revoir" à Miss Feuillère, parce que vu son pedigree, les probabilités que nous la croisions à nouveau dans les parages dans un avenir plus ou moins proche nous semble des plus élevées !





* Comme l'avait surnommée  affectueusement Jean Gabin après qu'elle ait joué dans l'inénarrable "Golgotha" de Duvivier, l'épouse d'un célèbre procurateur de Judée très à cheval sur l’hygiène des mains. 

samedi 9 avril 2016

BARBARELLA (1968) #2

CAMPISSIMO !

 La philosophie dans le boudoir (intergalactique), chapitre 2

Par Valentine Deluxe

 

 Qui osera encore dire que les affiches polonaises sont moches???


BARBARELLA revient, et qui s'en plaindra ?...
Pas Valentine en tout cas, car tant au niveau philosophique (voir notre première bafouille) que vestimentaire, notre brillante astro-pilote, faut-il le rappeler, fut depuis la plus tendre enfance de votre chroniqueuse à la fois  un modèle et une muse!


 Modeste et laborieuse, 
mais toujours prête à bien faire !

Cette délicieuse créature n'a que des qualités : 
Fraîche et pimpante dès le saut du lit, d'une humeur remarquablement constante, elle est aussi toujours là quand il faut donner un coup de main, aider un pote dans la mouscaille, ou sauver un ange aveugle des griffes gluantes du matmos (oui, là faut avoir vu le film pour capter !)

...pas sûr que ça soit sa pose
 la plus glamour ça !

Évidemment, comme nous sommes dans "CAMPISSIMO!", vous remarquerez au passage qu'il y a plus de photos que de texte, mais disons que c'est notre formule "dimanche", notre supplément "digest" à nous.

Et puis, pour une fois que je fais court, vous n'allez pas me jeter aux perruches non ? (oui, là aussi, il faudrait mieux avoir vu l’œuvre en question pour saisir la finesse de l'allusion...)

 Et ça, c'est juste pour faire c**** Brigitte !

Bon, c'est ici que je la boucle (moi qui l'ai à peine ouverte pour une fois !) et que nous partons nous extasier sur l’à-propos de notre belle héroïne. 
Donc aujourd’hui, nous allons explorer un autre trait dominant de sa délicieuse personnalité :

la Modestie !

Est-ce le fait qu'elle ne fut qu'un troisième choix, après Brigitte Bardot (logique, puisqu'elle fût l’inspiration de Jean-Claude Forest le dessinateur) et Sophia Loren (!!!) d’abord envisagées, que notre chère Barbajane Fondarella semble douter à ce point de ses capacités ?  

La preuve par l'image :




La délicieuse enfant, c'en est  touchant de sous-estimer ainsi son potentiel de séduction !


samedi 2 avril 2016

LE RUISSEAU (1938)

LES BONNES COPINES DE VALENTINE #12

"Laisse aller, c'est une valse!"

Par Valentine Deluxe


Youpi ! Pâques est enfin passé, le changement d'heure nous fait prendre l'apéro une heure plus tôt, Christ est ressuscité... et Valentine Deluxe aussi !
Oui, je sais, il était plus que temps... La trêve des confiseurs a pris chez nous des tournures de fête de la marmotte à Punxsutawney ! Alors, plutôt que d'essayer de vous faire gober quelque excuse vaseuse, tablons sur la franchise et parlons sans détour :
je suis d'un naturel plutôt feignasse, ces temps-ci !

Valentine Deluxe au piquet !


Bon, là-dessus, tournons la page et entrons dans le vif du sujet !
Qui aurait pu croire que l'inénarrable et irascible Jenny Stewart avait de la famille du côté de Paname ?
Je vous rassure tout de suite, moi-même, malgré ma légendaire érudition (même Pierre Tchernia et Patrick Brion m'appelaient pour corriger leurs fiches !), j'en suis restée comme deux ronds de flan à la découverte de ce scoop historique !
Bon, je n'ai pas encore reçu le résultat des tests ADN, mais tout semble concorder :
  • Tempérament acariâtre proche de la pathologie.
  • Garde-robe criarde (même si nous serons ici en noir et blanc)
  • Ego surdimensionné
  • Haute propension aux débordements dramacouinesques en tout genre
Ai-je des preuves de ce que j'avance ?... Un peu, mon neveu !  
"Le ruisseau", une pièce à conviction de 92 minutes signée Maurice Lehmann et Claude Autant-Lara, bonne grosse salade mixte où l'on trouve de tout, beaucoup, deux fois (et avec de la sauce).
Passant allégrement et sans complexe du mélodrame le plus éhonté à la gaudriole gauloise décomplexée, avec toute une galerie de personnages hauts en couleurs allant de l'orpheline vertueuse à la fille perdue, du vieil aristo décavé au marin vertueux, l’œuvre incriminée doit surtout  d'être sauvée d'un oubli relativement peu mérité - c'est mon humble avis, faites-en ce que vous voudrez - par l'incroyable Regina Berry!
Bien sûr, il y a déjà à la base une distribution des plus séduisantes, où brille une délicieuse Gaby Sylvia en oie blanche, Ginette Leclercq en mauvaise fille au grand cœur - ébauche du rôle qu'elle tiendra au bas mot 157 fois durant sa belle carrière -, et Michel Simon plus cabotin et  libidineux que jamais.

Mais dans tout ce petit monde qui s'agite en tous sens dans une intrigue passablement compliquée que je me garderai bien d'essayer de vous démêler (pas folle, la guêpe), celle qui fait passer l’œuvrette en question du tout venant à l'inoubliable, c'est bien sûr la môme Regina.
Surtout quand cette ribaude est incarnée par la sublime Françoise Rosay, qui fait  son grand retour dans nos colonnes depuis notre spécial "Fête des Mères" d'il y a (déjà) 2 ans.


Le grand retour de Françoise Rosay 
(sous vos applaudissements)...

Sautant des planches de l’Opéra Royal de la Monnaie au carton-pâte des studios de Boulogne-Billancourt,  en 65 ans d'une carrière cinématographique aussi riche que variée, allant de Louis Feuillade à Michel Audiard, Françoise Rosay, aura tout joué : les Mater Dolorosa comme les mauvaise mères, les intrigantes et les rosières, les ingénues comme les vieilles dames indignes (Ah! La tante Léontine !)

Françoise Rosay va faire son marché.

Vous avez bien cinq petites minutes ? Parce qu'avec l'abondance de la matière, j'ai eu du mal à trancher. Alors du coup ça déborde, ça dépasse, ça mord sur la ligne.
Y en a peu plus... Je vous le mets quand même ?
Oui ? Magnifique !... Prenez un siège, j’amène les rafraîchissements !

Alors, comme il se doit, je vais maintenant la boucler, et vous laisser découvrir comment la Regina  fait tourner tout son petit monde à la baguette...


Au moins, on ne pourra pas dire qu'elle s'acharne sur le petit personnel, car il n'y a pas que les chorus girls qui en bavent. Son (obséquieux) costumier, son associer (poltron), son comptable (véreux), tous ensemble tremblent - en rythme, sinon ça va encore leur valoir une scène ! - sous la coupe implacable - on n'oserait dire "tyrannique", car elle a l'oreille fine ! - de Mlle Berry.

Mais quand son grand marin de fils chéri, prunelle de ses yeux, 7ème merveille de son (demi-)monde, lui envoie une pauvre petite orpheline afin de la prendre sous son aile protectrice et maternelle en attendant son retour ("Femme à marin, femme à chagrin", c'est bien connu), Regina, subitement, nous montre une facette moins connue et accessible de sa personne.
Et oui, sous l'épaisse carapace d'acier trempé se cache une âme de pélican, de petite mère des pauvres, de madone des 7 misères.
Le cœur sur la main, Mme Regina ! (... main qu'elle a vite fait de vous envoyer dans la figure si ça ne roule pas comme elle veut)


"Regina, c'est Paris"! nous sommes bien d'accord... mais plus Ménilmuche que Neuilly, ça ne fait aucun doute.
Et avec elle, même toute endimanchée dans sa superbe décapotable, le ruisseau (ouiiiii, celui du titre !) n'est jamais bien loin.

"Il me plaît bien, ce vieux-là. Il est faisandé, mais il a de la branche..."

 Le vieux en question, c'est Michel Simon, aristocrate sans le sou, spécialiste en photographies "d'art" (si vous voyez ce que je veux dire....), qu'elle va soudoyer pour offrir à son fils - illégitime ! - une paternité et un titre de noblesse par la même occasion.
Vous pensez bien qu'elle avait
quand même d'autres ambitions pour son chéri-bibi que de le voir s'amouracher de la première traîne-misère qui passe par là.
Pas la peine de s'être donnée tout ce mal si c'est pour se faire caver par un petit boudin ! 

Sur ce, un intermède musical:

 

Vous voyez, un peu revêche peut-être, mais même si l'Enfer est pavé de bonnes intentions, elle n'est pas foncièrement mauvaise, la Régina.
Là-dessus, en guise de conclusion, je ne résiste pas à la rappeler pour nous refaire son inimitable petit salut de la main aux fauchés du deuxième balcon.