"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



jeudi 8 octobre 2015

THE OTHER SIDE OF MIDNIGHT (De l'autre côté de minuit, 1977)


BOOKING.CAMP #5

"Y'a du soleil, y'a des nanas, darladirladada..."

Par Valentine Deluxe


Connaissez-vous le principe du crossover ?
Vous savez, quand des scénaristes épuisés font se croiser dans un épisode d'une série télévisée pareillement exsangue, disons comme ça au hasard, Magum et Jessica Fletcher.
Ou bien quand les experts de Miami font un voyage à New-York pour rencontrer les experts de Las Vegas en vacances... à moins que ça ne soient ceux de la grande pomme qui se dorent la pilule à Miami pour racketter ceux de Vegas ???... Enfin bref, quand les scénariste sont fatigués !

 C'est ça, un crossover !

Et bien aujourd’hui, sur MEIN CAMP, nous aussi allons faire du crossover !
Pourtant, telle que vous me voyez là, je suis fraîche comme la rosée du matin sur un gardon prépubère -- 16h de sommeil quotidien, pour moi, c'est un minimum !
En effet, si nous sommes officiellement dans la rubrique "Booking.camp" -- oui, ce n'est pas parce qu'on a rangé les vacances dans des valises en carton qu'on ne peut pas encore rêver d'évasion ! --, nous allons aussi flirter brièvement avec le trop rare "Once upon a flop !" (qui, avec 3 bafouilles au compteur, n’est pas à proprement parler le triomphe rédactionnel du blog !), colonnes dédiées aux plus faramineux fiascos du 7ème art.


"The picture everyone is raving about..."
Là, la publicité en remet un peu !

Car fiasco, le film dont il est question aujourd’hui (Autour de minuit, de Charles Jarrot) en fut un, et des plus retentissants, au grand effarement de ses malencontreux commanditaires.
C'est qu'ils étaient certains de partir gagnants dans cette affaire, les bougres !
Un best-seller de Sidney Sheldon (le troisième larron de notre sainte trinité littéraire après Jacqueline Susann et Harold Robbins), la nouvelle sensation féminine que tout le monde s'arrache (Marie-France Pisier, toute auréolée du triomphe américain de Cousins, Cousines), de la fesse, du mystère, des paysages exotiques : tous les ingrédients étaient bien là -- en tout cas sur le papier -- pour faire de ce film LE triomphe de l'été !
La preuve : tous les distributeurs le veulent avant même que le premier tour de manivelle ne soit donné.
A telle enseigne que les producteurs de la Fox en profiteront pour faire un deal leur permettant de se débarrasser du même coup d'un autre film qu’ils ont au fond de leur escarcelle. Un truc dont personne ne veut et auquel nul ne comprend rien, et qui est censé se dérouler "il y a bien longtemps dans une lointaine galaxie" .
Bref, pour avoir le très attendu Autour de Minuit dans son cinéma, les exploitants devaient promettre de prendre au passage dans le même panier :


Et comme on dit dans ces cas-là :
"Le reste appartient à l'histoire !"

Fin donc du chapitre "Once upon a flop" ; pour plus de détails, nous ne pouvons que vous conseiller de vous en remettre à notre indispensable confrère (ou consœur, on n'a jamais trop su en fait, vu qu'on ne correspond que par missi-dominici interposé) de l'indispensable "Soyons-Suave".
Avec la faconde qu'on lui connaît, il a développé le sujet ICI  -- suite à un quizz de votre Valentine d'ailleurs.

Non, ils ne sont pas là pour voir
"De l'autre côté de minuit"...

Mais puisque cet article s'inscrit aussi dans notre rubrique BOOKING.CAMP, alors rêvons, voyageons, évadons-nous vers des rivages sablonneux et des terres paradisiaques !

On va vous situer le biniou en deux mots, mettons trois --le film fait quand même 2h45 !!!

Marie-France Pisier, bonne pomme aux dents longues, se fend d'une amourette avec un GI dans le Paris de la Libération -- ce qui nous vaut cette scène merveilleuse d'une nuit d’amour avec vue sur les toits de Paris, d'où émerge très distinctement une bonne grosse tour Montparnasse, mais ne commençons pas à chipoter...
Après lui avoir promis de l'épouser, il s’éclipse pour aller chercher des cigarettes.
Trois ans après, le bellâtre au regard bovin -- et ce n'est pas très gentil ni flatteur pour nos braves productrices de lait que de les comparer ainsi à John Beck -- n'étant pas revenu avec le paquet de cibiches promis (ni n'étant revenu tout court), la pauvre petite commence à se dire qu'elle s'est peut être fait légèrement empapaouter.
Ne lui restent que ses yeux pour pleurer, sa robe de mariée (prévoyante la fille !) dans un carton, et un polichinelle dans le tiroir.
Polichinelle qu'elle délogera à grands coups de cintre métallique -- accessoire béni entre tous par les amateurs de Camp...


John Beck : une belle petite tête de gagnant, celui-là !

Là dessus -- et je vous jure que je fais bref, là ! --, notre donzelle se la joue Scarlett O'Hara, jurant ses grands dieux de se faire des boucles d'oreille avec les testicules de ce sagouin, si jamais elle arrive à remettre la main dessus !
Signalons juste que, pour formuler cette promesse, elle ne prend pas la peine de serrer un radis dans son petit poing levé vers le ciel, comme son illustre consœur -- et je le déplore.




Bon, on va y arriver : son petit cœur de midinette brisé en petits morceaux pointus et coupants, notre jolie Noëlle -- car c'est son nom -- n'a qu'une idée en tête : arriver au sommet, par quelque moyen que ce soit, avec une nette préférence pour les plus vilains et les moins recommandables.
Elle devient donc star à Hollywood, se fait courtiser par la terre entière -- et c'est normal, me direz-vous, car elle est habillée par la géniale et acerbe Irene Sharaff.

Géniale, Irène l'est sans que le doute soit permis un instant : elle a habillé Liz Taylor dans Cléopâtre et Barbra Streisand dans Hello Dolly !, ce qui devrait suffire à sa canonisation immédiate et non négociable.
Pour ce qui est d'être acerbe, il suffira de citer cette remarque merveilleusement fielleuse qu'elle laissera glisser pour la postérité, lors du tournage de Maman très chère -- autre raison d'adoration perpétuelle :
"Bien sûr, vous pouvez entrer dans la loge de Faye Dunaway, mais il est plus prudent d'y balancer d'abord un morceau de steak cru afin de  détourner son attention".

La seule vraie question avec la Sharaff :  
"Comment passer les portes ?"

Enfin bref !... C'est donc là que... (OUIIIIII!... nous y arrivons !!!), c'est donc là, disais-je, que Raf Vallone, un Aristote Onasis de pacotille (nous  l’appellerons Constantin Demeris pour éviter tout procès) l'invite à venir se reposer dans son île privée.
Eau chaude, eau froide, gaz à tous les étages : vous y trouverez tout le confort moderne... plus quelques gadgets absolument indispensables, comme le backgammon géant sur la terrasse ! 
Les décors étant de John De Cuir -- un collègue de la Sharaff, vu qu'ils ont travaillé ensemble, avec la même propension à la dépense incontrôlée, sur les deux méga-productions figurant dans la précédente illustration --, vous pouvez être sûr que tout ne sera que calme, luxe et volupté !

Petit détail à noter si vous voulez y réserver vos  prochaines  vacances : le propriétaire des lieux a la même fâcheuse manie que le producteur de Jean Harlow dans le chapitre 4 de notre ci-devant rubrique : il se peut qu'il ait comme des envies de vous trousser dans les fourrés.

Mais lui au moins, au contraire de cette fripouille agitée des glandes qui pensait pouvoir épater les starlettes avec des tringles à rideaux télécommandées (si vous ne pigez pas, suivez le lien vers le chapitre n°4 pour vous rattraper), il y met les formes... et le prix !

   
Ben voilà, c'était pas si compliqué ! 
Bon, en attendant, n'oubliez pas que les places sont rares et que les vacances de Toussaint arrivent à grand pas, alors on réserve tout de suite !

Merci qui ?...
 MERCI BOOKING.CAMP ! 

Oh ! Hé! ...Attendez, ne partez pas si vite ! (on n’est plus à deux minutes près !) 

Vous savez comme j'aime attirer votre attention sur des petits détails qui ne mangent pas de pain, alors ne nous arrêtons pas en si bon chemin, et laissez-moi juste vous proposer pour l'Oscar du meilleur espoir féminin, le petit soupir soulagé de l'anonyme mais néanmoins méritante chambrière :




Merveilleux, non ?

vendredi 2 octobre 2015

DAS GASTHAUS AN DER THEMSE (Le Requin harponne Scotland Yard, 1962)

 Les bonnes copines de Valentine #11

Eine kleine Kamp-musik ("La Petite musique du Camp")

Par Valentine Deluxe




"Dans des circonstances
que je tiendrai secrètes, une personne dont je tairai le nom 
m'a dit des choses que je ne peux pas répéter."  
Michel Audiard

Oui, je suis désolée, mais je ne peux décemment vous raconter les circonstances qui m'ont amenée à découvrir ma nouvelle bonne copine du jour. 
Non, vraiment, je ne peux pas...
Je ne peux pas, parce que sinon, je devrais vous expliquer ce que je faisais en tenue d'Eve, menottée à un radiateur, pendant qu'un jeune homme -- au demeurant charmant -- me susurrait de teutonnes insanités dans le creux de l'oreille. 
Donc, motus et discrétion, vous ne saurez rien, j'ai dit... enfin, pas plus, en tout cas !

Ah ! s'il pouvait parler,  lui !!!

Sauf que... dans le feu de l'action (action que je me garderai bien de vous décrire), voilà-ti pas que ce charmant germain  (1M80, le cheveux blond en brosse, brute juste comme je les aime) en vient donc à articuler ce sésame mystérieux et intrigant :
" Elisabeth Flickenschildt !"
Bon, là, je dois bien vous avouer que je n'ai pas compris tout de suite. 
A priori, le contexte n'incitait pas vraiment à une parenthèse culturelle, mais bref, c'est comme ça, puisque  je vous ai dit que je ne pouvais pas TOUT vous raconter!

Donc, j'arrive enfin à comprendre, après plusieurs laborieuses tentatives, que je lui rappelais...
" Elisabeth Flickenschildt!"
(faut l'imaginer avec l'accent, c'est tout de suite autre chose...)
 
La ressemblance ne me saute pas aux yeux, 
mais y a pire comme comparaison ! 

Si, pour Cocteau, Marlène Dietrich avait un nom qui commence par une caresse et s'achève par un coup de cravache, chez  la Flickenschildt, la mandale est bien là, mais on cherche vainement la caresse.
Comme un air de famille avec Frau Blücher...

Grande diva de la scène et de l’écran Outre-Rhin pendant plus de 30 ans, elle y affiche imperturbablement un regard de gorgone et un sourire glacial à fendre les pierres.
Elle a traversé avec aisance à peu près tous les régimes politiques allemands du XXème siècle, a eu sa carte du parti nazi, fut très admirée par Hitler et Goebbels, et apparut même au passage dans des films de propagande anti-britannique tel que "Le Président Kruger".
Si elle n'a pas réussi à figurer dans un épisode de "Derrick", elle n’échappa pas au petit détour obligatoire par le "Krimi", l’inépuisable cycle d'adaptations plus ou moins interchangeables de romans gothico-policiers d'Edgar Wallace, qui inonda copieusement les écrans allemands pendant les années 60.

Perfection du geste, art consommé de la pose :
comment ne pas l'adorer?

Bon, pour vous planter le décor en deux mots, dans  "Le Requin harponne Scotland Yard", la Flikenshildt
arbore les charmants afliquets de  Madame Oaks, la  redoutable tenancière d'un kaberdouch* particulièrement pittoresque et crapoteux, ancré sur les bords d'une Tamise de carton-pâte.
 
Ah oui, j'allais oublier !... Cette "bonne copine de Valentine" flirtera également avec "la musique adoucit les mœurs" (tiens, y avait longtemps que je ne l'avais plus achalandée, cette rubrique-là !),  puisque notre merveilleuse Frau Flikenshildt ("Hiiiiiiiiiiiiiii!" -- oui, je sais : j’imite bien les chevaux affolés !--) va également nous pousser la chansonnette.
Chansonnette qu'elle nous livre dans ce style merveilleux que j'ai baptisé jadis en ces pages "le cabotinage murmurant" : en faire des tonnes pour en faire moins, le concept est génial, vous avouerez ! (Avouez, vous dis-je ! Sinon la Flikenshildt sort sa cravache!)
 
Alors, on ouvre grand les mirettes, on désensable les portugaises, et on admire  Fräulein!


Alors? Elle est magnifique, pas vrai ?
Non non, ne me remerciez pas, puisque je vous dis que ça me fait plaisir!

Et puis, dites, un petit "bis" vite fait qui ne mange pas de pain : 
vous avez vu l'autorité dans le geste? 





* CABERDOUCHE ou KABERDOUCH : n. m. Belgique. Petit café populaire généralement mal famé.