"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



jeudi 31 décembre 2015

LES MYSTERES DE PARIS (1943)

La fête à Germaine, chapitre 2

"Elle est chouette ma gueule ! " 

Par Valentine Deluxe



Alors aujourd'hui, je vous propose de plonger jusqu'aux racines du mal, de remonter à la genèse du mythe.
Les ogresses, les fielleuses, les malfaisantes, La Kerjean, elle en a incarné ("campé", comme on aime à le répéter ici) avec une générosité dont nous ne pouvons que lui être éternellement reconnaissants. Mais dans sa longue et passionnante carrière, 1943 reste à marquer d'une pierre blanche.
En effet, non contente de nous avoir déjà régalés avec l'infecte Mme Boinet de "Cécile est morte!", elle bissera pour nous offrir un doublé jubilatoire, en enfilant des guenilles aussi crasseuses que l'âme d'un des personnages les plus abjects et effroyables de la littérature populaire :
L'horrible "Chouette" des Mystères de Paris de ce cher Eugène Süe


... gueule d’atmosphère...

La Chouette, et son "mari" et acolyte en turpitudes "le maître d'école", sont des cadors de l'infamie, des têtes de gondole de l'abjection, deux verrues sur le nez de l’humanité (souffrante) ne reculant devant aucune bassesse ni ignominie, et pour qui tous les coups - surtout les plus pendables - sont permis : 
Vol, rapt, maltraitance, sévices corporels et psychologiques divers, proxénétisme, assassinats en tout genre... et la liste n'est pas exhaustive, loin s'en faut !

Tenter de résumer l'intrigue des "Mystères de Paris" relève de la gageure olympique!
Les 1500 pages du brave Eugène sont fichtrement plus complexes, excitantes et riches en rebondissements que "Plus belle la vie" et "Les Feux de l'amour" réunis.
Et moi qui aurait déjà bien du mal à vous synthétiser le pitch de "l'arroseur arrosé", j'aime autant abdiquer !
Alors, essayons juste de tracer les grandes lignes de cet incroyable imbroglio, en plaçant le focus sur les personnages qui nous occuperont aujourd’hui.


La Chouette est aussi très bricoleuse à ses heures...


Pour faire simple, "on dira qu'on dirait" que ça serait l'histoire de deux bistrotiers à qui l'on a confié une pauvre petite enfant, frêle et innocent fruit d'amours illégitimes, et qui n'ont de cesse de tourmenter la pauvre petite en la réduisant à l'asservissement le plus complet...  

Et là, vous vous arrêtez et commencez à penser que la Valentine, elle travaille de la cafetière, qu'elle perd ses tartines, qu'elle sucre les fraises, car bien sûr vous avez reconnu les Thénardier des "Misérables" du père Hugo.  
Bon, allez, on peut vous le dire maintenant : le grand Victor était une vilaine tricheuse qui regardait par-dessus l’épaule de son camarade Eugène !

Vilain copieur l’élève Hugo!

Mais rendons à Süe ce qui appartient à Eugène, le succès  des "Mystères" fut tel qu'il engendra toute une kyrielle d'imitations, des plus médiocres aux plus flatteuses : Hugo donc, mais aussi Zola avec ses "Mystères de Marseille", Dumas et  "Les Mohicans de Paris", et même Dickens, dont l'effroyable Mme Defarge, la revêche "tricoteuse" dans "Un Conte de deux cités" semble être une digne émule es-monstruosité de notre bonne vieille Chouette.

Bon, mais la Kerjean dans tout ça?
La Kerjean, elle jubile, elle exulte, elle s’éclate à s’enlaidir jusqu'à en être méconnaissable, avec sa bouche édentée, son nez en bec d'aigle et son œil crevé.
Et comme toute Grande Dame qui se respecte, sa première qualité, c'est de savoir soigner son entrée.
Alors poussons la porte du "Blanc-Lapin", et "pénétrons dans des régions horribles, inconnues, (où) des types hideux, effrayants, fourmilleront dans ces cloaques impurs comme les reptiles dans les marais." (1)
C'est la maison qui régale,  eau d'aff (2) pour tout le monde, nous sommes invités aux noces de La Chouette et du Maître d'école!


Alors attention, si elle ne voit que d'un œil, n'allez pas vous imaginer que vous allez pouvoir la rouler dans la farine comme une boule de Berlin ; elle est rude en affaires la Chouette !
Et avec elle, avant tout, les bons comptes font les bons amis !
Notez au passage (oui, je sais, c'est pas bien de rapporter) que bien que notre ogresse soit borgne, dans cette séquence - étourderie du maquilleur, du chef opérateur ? allez donc savoir ! - son p'tit œil crevé a une fâcheuse tendance à réapparaitre sous le subtil maquillage.


Et les affaires sont les affaires avec M'ame La Chouette, n'escomptez pas l'attendrir, même dans les situations les plus dramatiques. Un franc reste un franc, et un improductif reste une bouche inutile à nourrir, fusse celle de son légitime époux !


Et bien qu'on l'appelât la Chouette, on pourrait tout aussi bien la baptiser "La Pie", car elle a une fâcheuse propension à être attirée par tout ce qui brille.


Et maintenant, en guise de conclusion, attention, je vais SPOILER méchamment !
Car vous pensiez bien qu'une pareille engeance ne pouvait pas s'en tirer sans un très juste châtiment.
Remarquez qu'on ne pourra pas dire qu'elle ne l'a pas cherché un peu...


Vous aurez reconnu au passage, dans le rôle de Tortillard, un Jean Carmet à peine pubère et - restrictions et rationnements de ces noires heures obligent - un tantinet famélique.

Sur ce, merci Germaine, et à bientôt pour un nouvel épisode!

(1) "Les Mystères de Paris", Tome I, chapitre 1
(2) Eau de vie

mercredi 30 décembre 2015

CECILE EST MORTE ! (1944)

French Camp

"La fête à Germaine, chapitre 1"

Par Valentine Deluxe




Valentine a des idées fixes, des lubies, des monomanies.
Laissez-moi partager celle du moment, bien qu'il soit de mon devoir, par charité païenne, de vous mettre en garde : elle risque fort d'être extrêmement contagieuse, c'te sainte manie.
Donc, la lubie sus-mentionnée a déjà eu les honneurs de nos colonnes, lors d'une récente Fête des Mères, mais en simple "vedette invitée".
Il était dès lors plus que temps de lui rendre les hommages dus à son rang : 
Celui de la First Lady des infâmes, la tête de gondole des vieilles guenipes, la harpie number one du cinéma français pendant un bon demi-siècle, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas un mince exploit.

Plus gorgone que harpie : 
un regard pétrifiant !

Germaine Kerjean, puisqu'il s'agit d'elle, est une grande kleptomane : pas un film où elle apparaisse, fusse en troisième couteau, dont elle ne vole un temps soit peu la vedette aux têtes d'affiches.
Si sur scène elle sert des auteurs aussi exigeants que  Garcia Lorca, Pirandello, Genet et quantité d'autres, à l’écran, elle ne recule pas devant quelques croquignoleries du genre "Coiffeur pour dames", "Cargaison blanche" et autres "Femmes de Paris".
Mais que ce soit dans un navet de Jean Boyer (tirez au vogelpik les yeux fermés dans sa filmo, vous en toucherez toujours bien un) ou dans de merveilleux diamants noirs comme "Les Mystères de Paris" - où elle fait une Chouette absolument terrifiante de cruauté et d'amoralité - ou "Voici le temps des assassins" - où elle égorge ses poulets à coups de lasso (!) - on peut souligner une constante absolue : elle est toujours parfaite !
Elle voudrait faire autrement qu'elle ne pourrait pas, de toute façon.

Un rien l'habille !

Première preuve du génie incontestable (mais un peu trop oublié à notre goût) de la grande Germaine :
"Cécile est morte !" du vénérable Maurice Tourneur.
En deux scènes montre en main, deux scènes et pas une de plus, elle phagocyte, elle vampirise, elle bouffe sans le moindre scrupule cette adaptation de Simenon.
Albert Préjan y incarne à nouveau un improbable Maigret dans l'une des trois adaptions des enquêtes du célébrissime commissaire produites par la Continental, maison de production franco-allemande créée par Joseph Goebbels pendant l'Occupation.

Mme Boynet : 
du concentré de teigne parfumé au cyanure !

Et ici, vous allez avoir une assez bonne synthèse du personnage qu'elle baladera de façon quasi immuable de film en film, avec toujours autant de conviction.
Acariâtre, méchante, hautaine et méprisante, elle tyrannise sa pauvre nièce, qu'elle a réduite à un quasi-esclavage depuis que celle-ci à perdu sa mère.
Quand on la retrouve étranglée dans les premières vingt minutes du film - qui perd beaucoup de son intérêt passé sa disparition -, la seule chose qui étonne vraiment, c'est que personne n'ait songé à la trucider plus tôt !



"Ceciiiiiiiiiiiiiiile !"
Je vous avais bien dis : une infâme!... Mais une infâme indispensable, une infâme comme on les adore, nous sommes bien d’accord.
Allez, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin ; nous sommes en période de fêtes, alors une deuxième praline, c'est la maison qui régale :


Moi, depuis que j'ai découvert ce film, que je n'ai vu qu'une seule fois en entier, je me repasse inlassablement ces deux scènes le soir avant de m'endormir. De la sorte, j’espère arriver une nuit à rêver de la grande Kerjean !
Je suis sûre qu'avec un peu de persévérance, je finirai par y arriver.

Ah oui ! J'allais oublier !... Pensez bien qu'on ne va pas s’arrêter en si bon chemin, c'est un festival que je vous promets ; un festival !
Alors, à bientôt pour le chapitre 2...

mardi 22 décembre 2015

8 FEMMES (2002)

Campissimo!

"Au théâtre ce soir..."

Par Valentine Deluxe



Alors aujourd’hui, si je vous dis "Catherine Deneuve", je suis sûre, bande de petits mécréants z'et mécréantes, que pas un(e) ne se lèvera de son chesterfield...


Oui, enfin, que pas un(e) ne se lèvera de son canapé pour crier d'un seul coup d'un seul :
"Comment se fait-il que nous n'ayons jamais parlé de... Catherine Deneuve ?!?"

Non, malheureusement, j'ai bien peur qu'à l'annonce  du nom de notre invitée du jour, je doive plutôt faire face à des réactions de cet ordre :


Et là, je vous trouve bien injuste envers notre brave Catherine, car ce n'est pas parce qu'elle ne peut plus se cacher derrière un frigo sans déborder sur les côtés, et que ses robes sont désormais confectionnées dans des housses de couette percées d'un trou pour la tête (2 personnes, la housse !) qu'il faut jeter au bac une filmographie où s'enchaînent dans un même élan Les parapluies de Cherbourg" et "pulsion", ce qui suffit déjà amplement à faire mon petit bonheur personnel et égoïste à moi!

Ne vous fiez pas à son air nouille, 
elle a un lapin crevé dans son sac !

Et en parlant de bonheur, nous allons nous en offrir un petit, un tout petit, 10 secondes à peine.
Mais 10 secondes de bonheur dans ce monde de brute, à tout prendre, ça n'est pas rien !
Comme nous sommes dans CAMPISSIMO, je n'en ajouterai pas davantage. Filons fissa voir ces 1/6 de minute de perfection, dans l'exercice de style "néo-camp", mi-laborieux  mi-savoureux, d'un élève appliqué mais roublard nommé François Ozon...


Et mon exercice de style du jour à moi, c'était de faire un article sans jamais citer le titre du film en question.
(Vilaine menteuse que je suis, c'était juste de la distraction !)

samedi 12 décembre 2015

BACK STREET (David Miller, 1961)


BB'S MOVIES #14
par BBJane Hudson

Lorsque Ross Hunter proposa à Susan Hayward d'être la vedette d'une nouvelle version de « Back Street », le best seller de Fanny Hurst (1931), la star commença par refuser en protestant qu'elle était comédienne, et non « porteuse de fanfreluches ». Cette remarque visait l'habitude bien connue qu'avait le producteur de vêtir ses vedettes de toilettes fastueuses, aussi importantes à ses yeux que leurs prestations. Elle se laissa finalement convaincre d'incarner Rae Smith dans cette troisième adaptation d'une œuvre démodée, pourtant considérée comme un classique du roman sentimental.


Rêvant de devenir une styliste réputée, Rae Smith noue une idylle avec un séduisant marine en permission, Paul Saxon (John Gavin). Avant leur séparation, le militaire lui avoue être marié et père de deux enfants. Rae quitte son Nebraska natal pour vivre à New-York, où elle devient la collaboratrice d'un célèbre couturier. Elle y renoue avec Paul, désormais héritier d'une chaîne de magasins de luxe, et toujours malheureux en ménage. Sa femme, Liz (Vera Miles), une alcoolique égoïste et capricieuse, refuse de divorcer et lui mène une vie impossible. Durant plusieurs années, les amants vivront une liaison passionnée, rythmée par leurs déplacements professionnels en Amérique, en Italie, puis en France. Lorsque Liz apprend l'infidélité de son époux, elle provoque un accident de voiture dans lequel elle meurt et dont Paul sort paralysé. Avant de mourir, il parvient à téléphoner à Rae et à lui dire qu'il l'aime. Le film s'achève sur la visite des enfants de Paul à la maîtresse de leur père, qui les recueillera.

Faut-il se méfier des femmes au volant ?
Oui, s'il s'agit de l'épouse hystérique que vous avez cocufiée.
(John Gavin et Vera Miles)


Dans le roman de Fanny Hurst, la maîtresse cachée vit dans la précarité et refuse d'être entretenue par son richissime amant qui, du reste, néglige de pourvoir à ses besoins. Après le décès de ce dernier, elle connaît une véritable descente aux Enfers, et finit par mourir littéralement de faim. Il ne reste rien de ce vérisme pathétique dans le film de David Miller (1961), où les protagonistes vivent leur romance dans le confort et l'opulence. Sans doute Ross Hunter estimait-il qu'en ces années 1960 marquées par la légalisation de la contraception et la libération de la femme, le public peinerait à croire en une héroïne végétant dans l'ombre de son amant, avec pour tout potage l'abnégation et le dénuement. En conséquence, le scénario évacue les aspects misérabilistes du roman et de la première adaptation (1) ; il n'en retient que l'eau de rose en y mêlant les parfums capiteux de la jet set.
Hunter put ainsi satisfaire son goût du luxe ostentatoire, donnant une fois de plus la part belle aux robes de Jean Louis, aux bijoux de David Webb, et aux fourrures d'Alixandre
qui, dans la bonne tradition du mélodrame hollywoodien, ont droit à un carton spécial au générique, au même titre que les stars.


A bien y regarder, Rae Smith mène une existence idéale, que pourraient lui envier bien des femmes. Elle aime un homme charmant qui l'adore en retour, jouit d'une précieuse autonomie financière, et obtient toute satisfaction dans sa vie professionnelle. Elle accepte sans en souffrir de ne voir Saxon que par intermittence, ce qui donne à leur liaison le charme d'une lune de miel permanente. Il est le plus lésé des deux, vivant un cauchemar conjugal et tenaillé par l'angoisse que son infidélité ne soit découverte, tandis qu'elle est une femme libre et accomplie.
Dans ces conditions, l'expression
Back Street, qui désigne la zone d'ombre où est reléguée toute maîtresse, semble plutôt incongrue, et l'histoire se dépouille de l'une des conventions les plus réactionnaires de ce type de mélo : l'opprobre à laquelle est vouée « l'autre femme », et la douleur qu'elle en conçoit. On pourrait presque parler d'un traitement progressiste, d'une dénonciation de l'arbitraire et de l'hypocrisie de l'institution matrimoniale. Pour stimuler les glandes lacrymales du spectateur, il ne reste que le thème de l'amour contrarié : il ne l'est ici que par des rendez-vous annulés et des étreintes différées.




Comme dans la plupart des mélodrames, le vecteur d'identification gay est censé être l'héroïne contrainte de garder son amour secret, sous peine de s'exposer à la vindicte sociale comme c'était le cas pour la plupart des homosexuels de l'époque. Mais cette obligation est rendue moins pesante par la reconnaissance dont Rae Smith jouit par ailleurs, au point qu'on peut légitimement penser qu'elle pourrait faire fi du secret sans en pâtir. On notera que son patron puis associé, Dalian (Reginald Gardiner), est présenté comme un homosexuel déclaré, ce qui ne nuit nullement à sa carrière.
Sous cette lumière, le véritable personnage crypto-gay est peut-être bien Paul Saxon, l'homme marié vivant une relation extra-conjugale perturbante, et forcé à la dissimulation. L'originalité de cette version de
Back Street, par rapport aux « mélodrags » (2) classiques, est de renverser le schéma social de sexe, et, du même coup, de redistribuer les rôles au sein du sous-texte queer, en faisant du mâle, et non de la « femme drag », le porte-parole de la condition gay.




Pour le reste, le film se plie aux canons du genre et n'en omet aucune figure de style, ce qui nous garantit une dose généreuse de kitsch et de Camp.
Susan Hayward est particulièrement brillante dans les incontournables scènes de « tourments téléphoniques », ces fameux moments où l'héroïne, pendue au combiné, chavire de douleur à l'annonce de nouvelles fâcheuses, en s'efforçant de conserver un ton serein
Back Street en totalise un nombre record.
La comédienne s'en donne à cœur joie dans l'exécution de cet autre cliché qu'est « le départ éperdu », lorsque son personnage, tenaillé par l'émotion, se sépare d'un interlocuteur en sanglotant et en secouant la tête en tous sens, généralement pour regagner vivement sa voiture. 
Les épisodes bucoliques offrent eux aussi de belles envolées lyriques, depuis le premier baiser au bord d'un lac après que Rae, ayant pris la fuite, soit livrée à l'étreinte de Paul par une chute malencontreuse, jusqu'aux enlacements ponctués d'images de rochers battus par les vagues.


Mais c'est évidemment l'antagoniste féminin qui est appelé à incarner la figure la plus campy, en l'occurrence Liz Saxon, l'épouse et mère indigne, jalouse, vindicative, et pocharde. L'emploi est dévolu à Vera Miles, ce qui ne manque pas de surprendre, l'actrice étant plutôt familière des rôles de compagnes attentionnées et délicates.
On peut voir dans ce choix une tentative d'inverser les schémas traditionnels du mélo jusque dans le casting. Comme le signala la critique Hollis Alpert du « Saturday Review », une distribution conforme aux habitudes du public aurait voulu que Susan Hayward et Vera Miles échangeassent leurs rôles, la première ayant à son actif bon nombre de personnages histrioniques et venimeux (2). Ce qui, pour Alpert, constitue une erreur incompréhensible, peut être vu comme une audace payante : Miles est en effet stupéfiante dans la peau de cette déséquilibrée tyrannique et suffisante, et éclipse ses partenaires dans chacune de ses scènes. Celle de son irruption dans le défilé de charité organisé par Rae, où elle humilie publiquement son ennemie en la désignant comme « l'autre femme », est le meilleur moment du film et le triomphe personnel de l'actrice. Sa manière négligente de déclarer à son mari :
« J'avais presque oublié que nous avons des enfants » en sirotant un verre de whisky, exprime avec cynisme à la fois son mépris du rôle de mère et son art de la provocation.




Parmi les ingrédients qui pimentent généralement tout bon
soap opera, les incohérences ne font pas défaut à Back Street. Ainsi est-il impossible d'inscrire l'action dans une époque précise : commence-t-elle à la fin de la Seconde Guerre Mondiale ou durant la Guerre de Corée ? Sur combien d'années s'étend-elle ?
Malgré le passage du temps, les protagonistes demeurent inchangés physiquement, et les enfants Saxon conservent le même âge de leur première à leur dernière apparition. Le courtisan de Rae, Curt Stanton (Charles Drake), qui semble devoir jouer un rôle important, disparaît au beau milieu du film ; de même un détective privé engagé par Liz Saxon pour surveiller son mari, n'a pas la moindre utilité et se volatilise subitement.
Ces bizarreries, mêlées aux vénérables poncifs dont le scénario est saturé, rendent particulièrement jouissive la déclaration résignée de Rae à Paul :
« Ce qu'il y a d'étrange dans la vie, c'est que tous les vieux clichés sont vrais ». Magistrale excuse des auteurs pour l'usage immodéré qu'ils en font.

(1) Back Street, John M. Stahl, 1932 ; la seconde adaptation, due à Robert Stevenson en 1941, améliorait le statut social de Ray Smith.
(2) J'emploie le terme "mélodrag" pour désigner les (nombreux) mélodrames dont les héroïnes peuvent être assimilées à des homosexuels masculins, dont elles sont, en quelque sorte, des variantes en travesti.
(3) Cité in John Howard Reid, Success in the Cinema : Money-Making Movies and Critics' Choices, Lulu.com, 2006, p.67.

mardi 1 décembre 2015

BARBARELLA (1968)

 Campissimo!

"La philosophie dans le boudoir (interstellaire)"

Par Valentine Deluxe



Il y aurait tant et tant à dire de BARBARELLA, la superproduction sous LSD et méga-bordélique de feu Dino De Laurentiis -- sans doute davantage l'auteur de cette merveille acidulée que Roger Vadim, plus occupé à cuver son vin dans un coin du décor psychédélique 100% "moumoute synthétique" qu'à diriger la joyeuse entreprise.

Dino est content : Roger tient debout !

Votre Valentine, pour ne citer qu'elle, a été littéralement transformée, positivement bouleversée par sa découverte, quand, encore enfant, quelques semaines à peine après avoir succombé aux charmes criards du FLASH GORDON du même Nabab, elle se plongea dans les aventures de la plus séduisante des astro-pilotes du 41ème siècle par le biais de la petite lucarne, en prime time, sur une chaîne Belgo-Luxembourgeoise (que je ne me donnerai pas la peine de citer, vu qu'il n'y en avait qu'une !)
Petite lucarne qui, faut-il le rappeler, en ces temps lointains et héroïques, était  tout ce qu'on veut, mais certainement pas un écran plat à coins carrés !
(fin de la  petite parenthèse proustienne...)

 Valentine trépigne : ce soir y'a BARBARELLA à la télé !!!

Mais nous sommes dans CAMPISSIMO !, la rubrique des lecteurs pressés et des rédactrices feignasses, aussi ne vais-je pas m’étendre (Barbarella le fait BEAUCOUP mieux que moi) sur les mille et unes petites anecdotes et grands ragots qui entourent cette œuvre, diamant de celluloïd éblouissant et incontournable, responsable de ce que l'on pourrait appeler "la mauvaise tournure" que prirent très vite mes goûts cinématographiques.
Non, je vais juste vous la jouer "flash-info", SMS et télégramme : bref, je serai "brève"... mais vous savez que quand je vous dis que je serai brève, la seule chose que vous pouvez jurer, c'est que je l'ai écris en français
Je ne m'attarderai donc pas sur les fabuleux décors protoplasmiques de Roger Hart (qui sont de Mario Garburglia), sur les ébouriffants costumes de Paco Rabanne (qui sont de Jacques Fonteray) ni sur l’étourdissante partition du Bob Crew Generation (qui est de Michel Magne), car bien sûr, nous n’avons pas le temps.

 Les costumes de Paco Rabanne 
sont de Jacques de Fonteray
(et vice-versa)

Par contre, je ne résisterai pas au plaisir de vous livrer cette citation de Jane Fonda -- qui, je ne nous apprends rien, incarne l'héroïne en titre -- parlant du film dans le Los Angeles Time :

"It is absolutely camp, sophisticated camp, the wildest of them all !"

Un volontaire pour les travaux pratiques ?

Enfin bref (disais-je il y a trois chapitres), BARBARELLA, c'est tout ce qu'on veut, et bien plus encore. Alors moi, aujourd’hui, modestement, humblement, je voulais AUSSI rappeller que BARBARELLA, ce fut pour Valentine un choc philosophique, peut-être pas aussi ébranlant que celui éprouvé à la vue de Sophie Marceau à "7 sur 7", mais quand même pas loin.

 Un choc philosophique, je vous dis !

Kant, Kierkegaard et consorts peuvent aller se rhabiller ; moi, ce soir (ou ce matin, ou cette aprème, selon l'heure à laquelle vous découvrirez ma bafouille), je vous propose la philosophie dans le boudoir intergalactique, selon Barbarella.
Tenez, comme ça, en passant, écoutez donc cet aphorisme qui sous sa fausse simplicité dénote une vision néo-existentialiste post-machin-trucmuche des plus pertinentes.


"Beaucoup de situations dramatiques commencent par des hurlements..."
 Quand je vous parlais de choc philosophique, hein ?

Sur ce, Barbarella ne vous dit pas adieu, mais "à bientôt", car elle devrait nous revenir assez vite... Elle a encore tant de choses à nous dire, la gueuse !