"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



mercredi 30 novembre 2011

FURANKENSHUTAIN CONTRE MARIE-OCTOBRE : LA REVANCHE D'AMITYVILLE, ou du bon usage de la télévision


JUSTE UNE QUESTION DE BON SENS #3
par Valentine Deluxe

On dira ce qu’on voudra, le commun des mortels ne naît pas libre et égal en droit devant l’adversité. On constate même parfois de sacrés écarts, car la poisse, c’est comme les mandats : il y en a qui cumulent. A l’adage qui nous enseigne que "La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit", moi je réponds : "My foot !..." Et j’étaye fissa mon propos d’un exemple patent (comme les phénomènes du même nom subis par cette vieille baderne de Rod STEIGER dans Amityville, la maison du diable -- à ce propos, on dira ce qu’on voudra, je trouve quand même que le Prince des Ténèbres avait des goûts de chiottes niveau immobilier ; il aurait pu choisir autre chose que cette baraque branlante, horriblement « classe moyenne » et du dernier commun.)
Franchement, vous hanteriez cette maison-là ?
Prenons le cas du type même du porte-guigne, du canard boiteux, du chat noir asthmatique : le petit Furankenshutain (enfin, petit au début du film, puisqu'à la fin il doit atteindre dans les 65 mètres...) Ce pauvre nigaud a eu coup sur coup, durant sa brève et douloureuse existence, deux des idées les plus saugrenues qui soient... C'est ainsi qu'un beau matin, alors qu’il baguenaudait dans la campagne nippone, tenaillé par une petite fringale, il se mit à boulotter le premier bout de gras trouvé dans les parages. Moi, personnellement, ma môman (très chère) m’a toujours interdit de manger des morceaux d’abats trouvés par terre ; mais lui, visiblement, n’a pas bénéficié des mêmes conseils frappés au coin du bon sens. Or -- et c’est là qu’est le pépin -- (attention ! accrochez-vous à votre voisin : ) le morceau de barbaque en question n’est autre que… le cœur de la créature de Frankenstein !
Franchement, vous mangeriez le cœur de ce gars-là ?
Bon, déjà, comme prémices, c’est pas mal ; mais comme si ça ne suffisait pas, il se trouve que le palpitant en question a été ramené dans l’empire du soleil levant par un sous-marin nazi, lors d'un beau matin d’août 1945 , et ce pour de nébuleuses raisons que je n’essaierai pas de vous narrer ici, sous peine de me voir soupçonnée d’avoir (encore une fois) un peu forcé sur l’absinthe à l’apéro.... Et devinez où ce fameux sous-marin a choisi d’accoster pour faire une pause-pipi ?… A Hiroshima (mon amour) !!!!... Les effets conjugués de ces deux funestes initiatives ne se feront pas attendre. Avec toute la logique imparablement naïve de ce genre de bandes dont le cinéma japonais et le grand Ishirô HONDA -- metteur en scène de cette petite sauterie -- nous ont si généreusement abreuvés pendant des décennies, le pauvre gamin se voit non seulement affublé d’un front proéminent des plus Karloffiens (ben oui, on devient ce qu’on bouffe, c’est bien connu !), mais aussi d’un sérieux problème de croissance qui lui fera atteindre la hauteur de la tour Montparnasse en l’espace de quelques semaines. Fortiche le petiot !...
Franchement, vous regarderiez ce film-là ?
Je tiens a préciser que votre Valentine s’est tapée gaillardement cette petite merveille en V.O. non sous-titrée ; donc, si vous trouvez des approximations dans le résumé, vous pouvez en faire des cornets de frites et vous les carrer bien profond quelque part, ça n’entamera en rien mon propos, ni ma légendaire courtoisie.
Franchement, vous ne regrettez pas que Jacques BREL ait fait du cinéma ?
Mais dans tout ça, où est donc passé le "bon sens", qui est censé former la matière de cette rubrique, si l'on en croit son intitulé ?… (Quand je m’éparpille de la sorte, il ne faut surtout pas hésiter à me ramener sur les rails de la raison, parce que sinon, on n’est pas rendu...) Si vous me permettez un raccourci salutaire pour la bonne fin de cet article, vous conviendrez avec moi (dans l'élan d'un coq-à-l'âne moins arbitraire qu'il n'y paraît) que la télé nous prend vraiment pour des cons !… Non ?... Plus moyen de passer une petite soirée récréative mais néanmoins culturelle et instructive devant notre tube cathodique (est-ce que j’ai un brushing a être passée à l’écran plat ?...) Moi, par exemple, voici quelque semaines, je vois dans mon programme télé : France 3, 20h30 : « Marie-Octobre ». Jugeant très finement que les programmes en couleurs donnent la migraine, l’idée de me régaler pour la 178ème fois de ce merveilleux whodunit tout en noir et blanc de Julien DUVIVIER -- et dont, thanks to mister Alzheimer, j’ai encore une fois oublié le twist final -- m’emplit d’une joie toute légitime. Naïve hirondelle que j’étais ! En lieu et place de la très classieuse Danielle DARRIEUX de la version originale, je me retrouve pétrifiée d’épouvante devant l’effroyable résultat du dernier lifting de Nathalie BAYE. Errances chirurgicales qui lui ont laissé une bouche évoquant à la fois Conrad VEIDT dans L'Homme qui rit, et le chat de Cheshire de Lewis CARROLL.
Franchement, vous les différenciez ?
En plus de cet abominable rictus, les gros plans la virago étaient tellement surexposés, que je me suis chopée un décollement de rétine. C’est plus des lunettes de soleil qu’il m’aurait fallu pour supporter ce navrant étalage, mais bien un masque de soudeur !!! Le bon sens, donc (car nous y revoilà) eût été de suivre l’exemple du gamin d’Hiroshima (et de lancer une souscription sur Mein Camp pour me pay… oups ! l’affreux mot !... M’OFFRIR un écran plasma de la taille du mur des lamentations.)

Donc, la prochaine fois, ne nous laissons plus piéger par les sirènes télévisuelles ; posons un acte citoyen fort : balançons nos récepteurs par la fenêtre en hurlant tous ensemble un cathartique et tonitruant : "TÉLÉVISION, BOÎTE A CONS !"...

mercredi 5 octobre 2011

SHELLEY MEETS THE DEVIL !...


THE BB'S HORROR PICTURE SHOW #6

par BBJane HUDSON

S'il est une personnalité qui ne chôma pas à Hollywood durant les années 70, passant allègrement d'une production friquée aux studios de 36ème zone et aux plateaux de télé, et trouvant même le temps de faire quelques crochets par Cinecittà, c'est bien le Diable. Il n'avait pas assez de tous ses pseudonymes et multiples incarnations (Lucifer, Satan, Belzébuth, Béhémoth, Bélial, Asmodée, ou le terrible Pazuzu -- "Fais pas zuzu avec ton zigouigoui !" disait le Père Merrin à Linda BLAIR...) pour assurer la demande de producteurs en crise de démonite aiguë, après qu'un certain bébé de Rosemary ait propulsé son biberon fourchu (?) vers les sommets du box office.


En ce temps-là, le Malin n'était jamais en manque de contrats. Pas ceux qu'il extorquait à de pauvres âmes égarées contre de vagues promesses d'immortalité, mais de juteux contrats monnayés en dollars sonnants et trébuchants, qui ne requéraient bien souvent que de parcimonieuses figurations en guest star, et se traduisaient même parfois par de spectaculaires non-apparitions, selon que le metteur en scène voulait se la jouer démon-stratif ou suggestif -- et selon les compétences des maquilleurs chargés de lui donner figure inhumaine.
Jésus-Christ, bien que superstar en 1973, faisait quand même moins recette que son sulfureux adversaire, réclamé à corps et à cris par des légions de spectateurs plus désireux de hurlements d'horreur que de goualantes évangéliques.


En 1973, justement, tandis que le Fils de l'Homme vocalisait ses sermons chez Norman JEWISON, le Malin fourbissait ses cornes dans le plantureux giron de Shelley WINTERS ("Encore elle !...", me direz-vous, comme si vous n'étiez pas ravis de la retrouver à tous mes coins de blogs), et s'assurait une descendance en la personne de Belinda MONTGOMERY, future fiancée de l'homme-poisson le plus sexy de la planète, j'ai nommé Mark HARRIS (alias Patrick DUFFY, qui portait un nom de canard, ce qui explique sans doute qu'il fût doté de palmes...)


Dans The Devil's Daughter, excellent téléfilm de Jeannot SWARC (qui, incidemment, portait un prénom de lapin), la jolie bien qu'un peu poupine Belinda ignore totalement qu'elle fut vouée à la naissance au Malin par sa mère (ou "par sa mère au Malin à la naissance") (ou "au Malin, à la naissance, par sa mère") (par quelque bout qu'on le prenne, c'est le genre de phrase qui se tient toujours de traviole...) Ce n'est qu'après avoir rencontré Shelley et sa bande de zozos, dévoués corps et âmes au Porteur de Lumière, que la brave fille s'avise du fabuleux destin auquel elle est promise. Elle en conçoit un étonnement certain (comme on écrit dans les romans de Paul BOURGET), et réagit d'abord de la seule façon possible, c'est-à-dire en dansant. Car si la musique adoucit les mœurs (comme aime à nous le répéter Valentine), il est bien connu que la danse énergise les vices... Démonstration :



N'est pas Isadora DUNCAN qui veut, mais bon, à chacun sa spécialité : on ne saurait être mauvaise comédienne ET bonne danseuse. Les anglophones auront noté les précieuses informations délivrées à notre héroïne par l'un des démonolâtres (celui qui ressemble un peu, vu de loin et par un myope, à un lointain cousin de Boris KARLOFF) : "Tu es la fille de ta mère !... Tu es la fille de ton père !..." Traumatisante révélation, étant entendu que chacun de nous n'a pas la chance d'être l'enfant de ses géniteurs, et encore moins d'être la fille du Prince des Ténèbres...
Pis encore, la chère enfant apprend que sa noble naissance la destine au Prince d'Andorre (?), un démon haut placé dans la hiérarchie satanique, réputé pour sa queue bifide et son caractère pas commode. Notre infortunée Belinda, opposée aux mariages forcés, se lance vaillamment dans une série d'épuisantes péripéties qui, au bout du compte et après 70 minutes de projection (ou de retransmission, puisqu'il s'agit d'un téléfilm), lui permettront d'épouser enfin l'homme qu'elle aime, le relativement séduisant Robert FOXWORTH, qui fut le mari de notre sorcière bien-aimée, Elizabeth MONTGOMERY, laquelle n'a aucun lien de parenté avec Belinda (heureusement, parce qu'ajouter l'inceste aux sataniqueries...)
Seulement voilà : la cérémonie de mariage lui réserve quelques surprises, et gratifie les spectateurs d'un twist bien senti (à défaut d'être imprévisible), qui permet à Shelley WINTERS et à Joseph COTTEN (oui, il est aussi de la partie !) de cabotiner comme ça n'était guère permis que dans les téléfilms d'épouvante des seventies.
Comme disait ma nièce Nini SOCQUETTES à l'issue du visionnement : "Merdalors ! Satan bouche un coin !..."



L'œuvre est hadopisable chez Froggy Flix...

dimanche 25 septembre 2011

J'AIME MIEUX PAS VOUS RACONTER # 2

by Valentine DELUXE

J’aime mieux pas vous raconter… et pour cause !... Avec la meilleure volonté du monde, je ne suis toujours pas parvenue à visionner dans son entièreté le machin dont il va être question ici-même (écrit-elle, rougissante, le front bas et le menton tremblotant...) Pourtant, lui et moi partions avec les meilleures intentions du monde, comme des préformateurs du futur (et hypothétique) gouvernement Belge, lors de leur première rencontre voici… 8 mois ?… non, 10 ?… ah ben non, plus de 12 !...

Comme eux, nous aussi partions persuadés que nous étions faits pour nous entendre... Imaginez un peu : d’un côté, un film intitulé Dracula's Widow (excusez du peu...) ; de l’autre : Moi, dans toute la Mienne Splendeur, autoproclamée la plus éminente lesbo-vampirologue de l’univers (en expansion) Dit comme ça, ça ne semble pas soulever de problème majeur, nous sommes bien d'accord ?...


Evidemment, outre-Quiévrain, rien n’est jamais aussi simple qu’il y paraît, et il a fallu déchanter très vite. Car pour vous dire les choses comme elles sont, sans essayer de vous faire des mouches à quatre queues :

1 : ce film est un navet d’amplitude cosmique.

2 : la capacité moyenne de concentration de votre Valentine a été considérablement réduite consécutivement aux fortes doses d’alcool de pomme de terre doryphorée (fabriquée à la hâte dans des baignoires douteuses) qu’elle a ingurgitées durant une vie que d’aucun qualifieront « de bâton de chaise ». J’ai pourtant essayé -- Dieu m’est témoin que j’ai essayé !… et je dois dire, même si j’aime mieux pas vous raconter, que ça partait presque bien… Enfin, pas trop pire quoi !...

Dès la première bobine, on remarque indubitablement que le tâcheron qui siège derrière l’objectif (Christopher « je suis le fils du frère de mon tonton » COPPOLA) n’est pas le mauvais bougre. Il connaît et aime son sujet, le parsemant de clins d’yeux nostalgiques et de citations qui, pour être lourdingues, n’en sont pas moins touchantes de sincérité. Seulement, il part avec un fameux handicap dans les pattes, le pauvre chéri. Car en effet, même si j’aime mieux pas vous raconter, il faut que je vous plante un peu le décor : un beau jour (ou peut-être une nuit ?), allez savoir pourquoi, arrive au musée de cire de Hollywood Blv, une p'tite boîte en sapin contenant les restes d’une certaine Veuve Dracula (celle du titre donc, pour ceux qui suivent). Les esprits grincheux nous dirons que c’est typiquement le genre d’alibi scénaristique que l’on ne rencontre guère -- et encore ! -- que dans un mauvais épisode de Scoubidou ou, pour les plus faisandés d’entre nous, dans un bon vieil « ABBOTT ET COSTELLO MEET…».

Non content d’arborer un brushing ébouriffant (qui, par les quantités astronomiques de laque bon marché nécessaires à sa confection, a dû contribuer pour une lourde part au trou dans la couche d’ozone), le conservateur dudit musée est joué de façon « folle hystérique qui s’ignore » par un Lenny Von DOHLEN toujours à deux doigts de sortir ses flacons de sels dans les scènes d’émotions fortes (oui, bon, « émotions fortes », faut l’écrire vite pour pas mentir longtemps !) Les atermoiements du petit chéri auraient déjà coulé trois TITANIC de bonnes intentions, mais comble de malchance, surcroît de désespoir, voilà t-y pas que débarque au beau milieu d’un film qui n’en demandait pas tant, et dans le rôle titre qui plus est, la Sainte Patronne des fabricants de fauteuils en rotin : Sylvia KRISTEL herself ? (Oui, c’est elle le fameux handicap dont il était question voici 15 paragraphes et deux sonnets...)

Arborant l’expressivité d’un pétoncle tétraplégique, une perruque en nylon dont on ne voudrait pas dans la solderie la plus crasseuse de Barbès, et un tailleur à épaulettes que même Faye DUNAWAY n’aurait pas osé porter du temps où elle se prenait pour Mildred Pierce, notre grande asperge batave fait singulièrement peine à voir ! Je ne prétends pas qu’elle ait jamais démontré des dons particulièrement ébouriffants pour l’art dramatique, mais là, c’est un peu trop pour sa frêle ossature ; on en aurait presque mal pour elle. Non contente d’être déjà passablement malmenée par le département costume et coiffure -- même si, quand on pense à la tendre chérie, ce ne sont pas ses costumes qui viennent immédiatement à l’esprit --, cette pauvre guimbarde se voit en plus affublée, pour les scènes de « transformation » (vous aurez noté soigneusement les guillemets) d’un maquillage rappelant d’une part un beefsteak passablement avarié, et de l’autre, le résultat du dernier lifting de Meg RYAN... C’est dire l’effroi que peut inspirer pareil bidule !

Remarquez, le dernier lifting de Faye n'est pas mal non plus? Surtout sans les mains...

Bon, et si on allait maintenant jeter un petit coup d’œil sur la pièce à conviction ?... Pas la peine de me poser des questions après (ni avant, d’ailleurs) pour essayer de savoir pourquoi cette séquence ressemble à un collage surréaliste mêlant une scène de West Side Story (mais si ,vous allez voir : les bad boys, l’escalier en fer !… il ne manque qu’un entrechat de George CHAKIRIS !...) et un porno gay façon « Falcon Studio » de la grande époque (là aussi, il ne manque que... George CHAKIRIS !), puisque vous savez bien que j’aime mieux pas vous… vous…


jeudi 28 juillet 2011

samedi 23 juillet 2011

FEMMES, FEMMES, FEMMES !...


Les vidéos de Valentine


Voici donc, pour votre plus grande jubilation, le "I'm a Woman" de Peggy LEE mis en images (et quelles images !) par Valentine Deluxe (et quel luxe !)...
Non, je ne dirai pas qu'il s'agit de sa plus grande réussite, et qu'elle aura du mal à surpasser cette œuvre d'art, puisqu'elle s'ingénie à me faire mentir chaque fois que je formule cette affirmation, en nous offrant ensuite un montage encore plus supercalifragilitisque... Les Déesses de Camp se sont de toute évidence penchées sur sa poussette pour la pourrir de dons, et le moins que l'on puisse dire est qu'elle le leur rend bien...
Alors, qu'est-ce qu'on dit ?... "Merci Valentine !"... et : "Encore !"...
Tenez, pourquoi ne pas passer aux hommes, la prochaine fois ?... Cabots grandiloquents, tatas flamboyantes, Apollons bodybuildés, et matinee idols ; ce n'est pas la matière qui manque... Reste plus qu'à trouver la musique qui va avec... Quelqu'un a une idée ?...
En attendant, régalez-vous ! C'est du nanan !...





jeudi 21 juillet 2011

SHE'S WOMAN


Une vidéo Deluxe !


Tout a commencé par une demande terriblement titillante que Valentine formula sur Facebook : "Sur quelle musique souhaiteriez-vous que je vous concocte ma prochaine vidéo-montage ? Soignez vos propositions, je ne retiendrai que les plus pertinentes..."
Quelques petits malins avancèrent des suggestions pour le moins farfelues... C'est ainsi que le bienheureux Thierry SOUVERAINS proposa carrément la tétanisante aubade à la vie de Sandra KIM, que l'aquatique Damien DAUPHIN opta pour les vocalises soap opératiques du méconnu (et qui gagne à le rester) Gilles SINCLAIR, que le très tendance Fred DEEFRAY osa l'inconcevable en nous pokerisant en pleine face le nom de Lady Gaga, que le très-apostolique Frédéric ERNOULD nous chanta les louanges des Compagnons du Goupillon de Brelou-la-Cloche, que le pétulant Claude DROUHIN prétendit nous embourber les zozores avec la salissante ariette de Mrs CLARK, que l'ingérable Damien MASSART nous refourgua l'annonce d'accueil musicale de son téléphone mobile, que la dodécaphonique Isabelle FRANÇAIX tenta de nous convertir au seul choix qui, selon elle, tombait sous le sens, et que l'incorrigible Héloïse D'ANJOU nous orienta in petto vers les rusticités grivoises de son verdoyant répertoire.
En toute logique, c'est sur ma proposition que se rabattit Valentine, à savoir le I'm a Woman de Peggy LEE. Trois semaines plus tard, elle m'envoie ce message désespéré : "Je trifouille, je farfouille, je bidouille, mais je n'arrive a rien qui me satisfasse... Me vient l'idée de changer la musique pour une autre "I'm a Woman" (n'ayant rien à voir avec la version de STOLLER & LEIBER), celle de Helen "The singin' nun in Distress" Reddy. Là, ça marche mieux, et au final, ça donne ceci..."
Conclusion : quand Valentine "n'arrive à rien", elle nous offre quand même un magnifique aboutissement... Du reste, à force d'acharnement, elle finit par relever le défi, comme vous le constaterez demain en découvrant le résultat de ses inestimables efforts...

N.B. : On remarquera que la belgitude de la môme Deluxe transparaît une fois encore dans sa création ; elle nous offre en effet ici, au hasard des images, une Pat Ast dont on pourrait tirer de gargantuesques cornets de frites...



samedi 16 juillet 2011

AH ! SI VOUS CONNAISSIEZ MON POULPE...


THE BB'S HORROR PICTURE SHOW #5
par BBJane Hudson


Nul n'ignore que les murs ont des oreilles, que la colline a des yeux, et que la mer a des dents ; ce que l'on sait moins, c'est que cette dernière est également pourvue de tentacules, comme le prouve le film très arrière-gardiste d'Ovidio G. ASSONITIS, dans lequel un poulpe relativement géant (c'est-à-dire filmé en très gros plans) sème la terreur chez les balnéaristes d'une charmante station californienne.


Tentacules -- plus marrant sous son titre espagnol...

Cette coproduction italo-américaine louche à s'en décoller la rétine sur le classique de Steven SPIELBERG, dont il repompe à peu près toutes les occurrences scénaristiques avec une scrupuleuse incompétence et une bonne dose de loufoquerie involontaire.
Mais ce qui rend le bousin puissamment attractif, c'est son casting à se rouler par terre en chantant "Viens poupoulpe, viens poupoulpe, viens..." Une aussi glorieuse brochette de démonétisés ne se rencontre pas à tous les coins de toiles, jugez-en : Henry FONDA en industriel véreux répondant au nom chenu de Mr. Têteblanche ("Whitehead" en V.O.) ; Bo HOPKINS en ichtyologue amoureux fou de ses épaulards à qui il ne dédaigne pas de faire tendrement la causette, voire de chanter de jolies chansons ; Cesare DANOVA en je ne sais plus trop quoi (j'ai revu le film il y a plusieurs mois et mes souvenirs tendent à se déliter) ; Claude AKINS en shérif d'une inutilité flagrante ; et surtout, John HUSTON et Shelley WINTERS, le premier en scientifique alarmiste qui a tout compris avant tout le monde mais qu'on ne veut pas écouter et on a rudement tort, la seconde en grosse bonne femme sympathique bien qu'un peu nunuche et légèrement alcoolique sur les bords, sans parler de sa nymphomanie militante mais difficile à satisfaire. Cerise sur le pudding : ces deux-là, accrochez-vous bien, sont FRÈRE ET SŒUR ! Les scénaristes, jamais en retard d'une bonne idée, n'ont pas hésité un instant à tabler sur l'hallucinante ressemblance physique entre les deux interprètes pour les gratifier de ce lien de parenté des plus réjouissants !


Shelley WINTERS et John JUSTON : un air de famille (surtout le cigare).

Dans la scène qui suit, vous pourrez apprécier deux événements remarquables, car absolument inédits : le premier est le refus de prendre un verre par John HUSTON, pourtant connu pour ses légendaires facultés d'absorption ; le second est de voir le même arborer une splendide "robe de nuit" à rayures, mettant particulièrement en valeur sa silhouette de manche à balai dyspepsique à l'usage des nettoyeurs d'arrière-salles de tripots texans. On ne s'étonnera pas, en revanche, de voir Shelley se préparer un bloody mary à 8 heures du mat', et faire la promotion de son inaltérable pouvoir de séduction -- ce qui laisse à penser que les cocktails éclusés la veille ne sont peut-être pas totalement digérés...



Dans cette autre séquence, extraordinaire exemple de maîtrise du montage alterné et du dialogue exhilarant, notre white mama favorite discute muettement avec son neveu par l'intermédiaire d'un talkie-walkie, au milieu d'une foule riant à contretemps, et avec un entrain bougrement méritoire, aux bien bonnes blagues d'un amuseur public fraîchement diplômé de l'Académie Garcimore de la Plaisanterie Impayable (à moins que ce ne soit de l'Eddie Deezen School of Unbearable Joke). Notez que Shelley met un bon moment à piger que les spectateurs ne peuvent pas l'entendre lorsqu'elle est filmée en gros plan, et qu'il lui faut donc logiquement s'éloigner un maximum de la caméra pour devenir audible. Dans les milieux de la critique cinématographique, on appelle ça du "putain de grand portnawak", et il faut bien convenir qu'en la matière, Tentacules se pose un peu là...



Si vous souhaitez faire le tour complet de la question, je ne puis que vous diriger vers le post très élaboré et hautement instructif de notre vénéré collègue, Soyons Suave...

dimanche 19 juin 2011

KALEIDOS-CAMP !

Une vidéo de Miss TEATIME

Je dois être bénie des Dieux -- et pour le moins vernie amicalement !... Après la vidéo-cadeau de Valentine que j'ai partagée avec vous hier, voici celle que Miss TEATIME (ou Mrs OCTOBRE, si vous préférez) m'a offerte le jour suivant, confectionnée à ma toute spéciale intention -- qui devient la vôtre, puisqu'il m'est impossible de résister au partage...
Pour la petite histoire, Miss TEATIME lit actuellement le copieux manuscrit de mon étude consacrée au cinéma Camp, et semble y prendre un certain plaisir, si j'en juge par la vidéo-montage que cette lecture lui a inspirée (sur une reprise de "Woman in Love" par le génial et ultra-Camp Gennaro COSMO PARLATO)...
Que dire, sinon que je suis honorée de cette attention, et me réjouis chaque jour de constater que le concept du Camp, largement ignoré en France, ne cesse de faire de nouveaux adeptes...
Merci du fond du cœur, Miss TEATIME, pour ce magnifique présent, qui résume de façon troublante, en moins de cinq minutes, trente années de ma vie de cinéphile...
Je vous aime !...
BBJane



samedi 18 juin 2011

EXCESS-IF !

Une vidéo Deluxe !

C'est un nouveau régal de Camp-ilation que j'ai découvert dans ma boîte à mails il y a quelques jours, accompagné d'un charmant petit mot de son auteure, notre inestimable Valentine, qui, avec l'humilité des Grandes Dames, me remerciait de lui avoir suggéré le choix de certains extraits. Ce qu'il y a d'extraordinaire avec Miss Deluxe, c'est son art de magnifier le moindre partage, qu'elle vous rend au centuple, transfiguré par son fabuleux talent et son inépuisable inspiration.
Ici, elle réunit pour nous les plus excessives de nos divas, sur un duo d'Etienne DAHO et Charlotte GAINSBOURG qui, du coup, en sort carrément sublimé ! Du grand art, et une bouleversante leçon de campitude...
Un bonheur n'arrivant jamais seul, je reçus le lendemain une autre vidéo-montage, photographique cette fois, concoctée par la délicieuse Miss Teatime, qui passe amoureusement en revue les figures emblématiques de la camp culture, et qui m'a une fois de plus donné le frisson... Patience, je partagerai cette merveille avec vous demain...
Pour l'heure, laissons Valentine nous mettre les points sur les if... Croyez-m'en : c'est jouiss-if !...
(Je vous invite à identifier chacun des films rassemblés dans cette compilation et à nous communiquer vos résultats dans les commentaires... Le gagnant remportera notre éternelle admiration...)
BBJane



dimanche 5 juin 2011

CE CHER DISPARU (The Loved One, Tony RICHARDSON, 1965)


par BBJane Hudson

A la demande générale de Valentine, je reviens (très) longuement sur ce film dont il était brièvement question dans
le précédent post...
Si vous souhaitez l'hadopiser (DVDRip, V.O.sous-titrée), rendez-vous sur mon autre blog, SMORGASBLOG...
N.B. : The Loved One est connu en France sous deux titres : "Ce Cher disparu", et "Le Cher disparu". J'ai choisi de conserver le premier (celui de la sortie en salles) dans cet article...

Tous les éléments semblaient réunis pour faire de Ce Cher disparu un succès commercial et critique : un casting rassemblant une dizaine de stars, un réalisateur ayant obtenu l'Oscar du meilleur film et de la meilleure mise en scène (pour Tom Jones, 1963), un script de Christopher Isherwood et Terry Southern (auteur de best-sellers et scénariste encensé du Docteur Folamour de Stanley Kubrick, 1964), adaptant une novella à succès d'Evelyn Waugh. Cette débauche de talents était mise au service d'un film dont l'argument publicitaire garantissait que « chacun y trouverait de quoi être offensé. » Cette promesse eut-elle un effet dissuasif sur le public ? Les offenses furent-elles jugées intolérables ? Ou l'œuvre s'avéra-t-elle tout bonnement calamiteuse ? Si les critiques émirent des avis divergents sur les causes de l'échec, ils s'accordèrent sur ce dernier. Pour Pauline Keal, influente chroniqueuse du « Time », le film était « un désastre triomphant — comme un navire en perdition qui atteint malgré tout le port parce que tout le monde à bord est trop ahuri pour paniquer. » Concédant quelques qualités à de menus détails, elle jugeait les effets satiriques choquants, non par leur contenu, mais par leur ratage, dû à une méconnaissance des réactions du public : « Richardson et compagnie sont manifestement convaincus qu'ils nous feront dresser les cheveux sur la tête. Ce qui est offensant, c'est la supposition complaisante que des choses mal faites sont brillantes simplement parce qu'elles sont susceptibles d'offenser. » Cette opinion fut relayée par l'ensemble de ses confrères, souvent de façon plus tranchée. Pour le dramaturge John Osborne, dont Tony Richardson avait adapté cinq ans plus tôt la pièce Le Cabotin, il s'agissait ni plus ni moins de « l'un des films les moins judicieux jamais commis. »

Aujourd'hui réhabilité par les amateurs d' « Objets Filmiques Non Identifiés » et par une bonne partie de la critique contemporaine, Ce Cher disparu connaît le même destin que d'autres productions inclassables comme Myra Breckinridge ou Skidoo, dont on se demande, avec le recul du temps, ce qui poussa de grands studios à les mettre en chantier, tant ils défiaient les normes de leur époque. Il fut l'un des premiers représentants de cette mini-vague d'extravagances celluloïdiques ayant pour points communs des sujets farfelus ou scabreux illustrés de façon provocante, des budgets colossaux, des distributions prestigieuses mais hétéroclites, un goût très Pop du salmigondis esthétique, un mélange de prétentions avant-gardistes et de roublardise commerciale. Comme l'écrit Charles Taylor du « New York Observer » : « The Loved One est l'un des exemples les plus piquants d'une période où les studios, confrontés à l'érosion de leur audience traditionnelle et complètement déconcertés par les attentes du jeune public, étaient enclins à essayer n'importe quoi, même à se dévorer vivants. »

Evelyn Waugh écrivit son roman après un séjour malheureux à Hollywood pour y préparer l'adaptation de son livre « Brideshead revisited » (le film ne fut jamais tourné). Il y prend pour cible l'univers des studios et l'une des expressions de sa mégalomanie : l'industrie funéraire.

Le cinéaste Tony RICHARDSON

Dennis Barlow (Robert Morse), jeune poète anglais, se rend à Hollywood pour y retrouver son oncle, Sir Francis (John Gielgud), un peintre renommé travaillant depuis trente ans aux Megapolitan Studios. Dennis espère y devenir scénariste mais n'en aura pas l'occasion ; en pleine disgrâce, Sir Francis apprend son renvoi et se pend au plongeoir de sa piscine. La colonie britannique hollywoodienne, souhaitant lui donner des funérailles grandioses, charge Dennis de s'adresser à l'entreprise dirigeant le cimetière de Whispering Glades (les Clairières Chuchotantes), où reposent les millionnaires locaux. Le jeune homme y rencontre Aimée Thanatogenous (Anjanette Comer), une thanatopractrice dont il s'éprend. Hélas, celle-ci n'éprouve de sentiments que pour ses chers défunts ; elle est en outre courtisée par M. Joyboy (Rod Steiger), l'embaumeur en chef, célibataire efféminé vivant avec sa mère obèse. Le Révérend Glenworthy (Jonathan Winters), propriétaire de la nécropole et escroc patenté, souhaite remédier au manque d'espace qui menace son négoce en lançant un projet fabuleux : mettre les cadavres sur orbite. Il obtient le soutien du général Brinkman (Dana Andrews), chef des Forces Aéronautiques, et prépare le lancement de la première dépouille, celle d'un ancien cosmonaute. Ecœurée par la perspective de voir son cher cimetière se transformer en annexe de Cap Carnaveral, Aimée se suicide en s'embaumant vivante. Pour éviter le scandale, Joyboy et Dennis substituent son corps à celui du cosmonaute dans la « fusée mortuaire », dont le décollage est un franc succès.

Tab HUNTER sous la statue du Révérend Glenworthy

Whispering Glades fut inspiré à Evelyn Waugh par le Forest Lawn Memorial de Los Angeles, sorte de Luna Park de la mort, en lequel il voyait une nécropole digne des pharaons. Gigantesque espace aménagé dans le plus pur style kitsch, planté de statues grecques et divisé en parcelles « poétiquement » ornementées, le lieu reproduit les fastes et le clinquant des décors édifiés dans les studios voisins. Comme dans ces derniers, les visiteurs se pressent, avides de magnificence et d'artifice, orientés par un guide qui les attend au pied de la colossale statue d'un Révérend Glenworthy plus proche du chef de secte que de l'entrepreneur de pompes funèbres. C'est le royaume de « la mort Camp », ou, si j'ose écrire, du glamort. Son parcours est jalonné de bornes diffusant la voix du maître des lieux, dont les sermons amphigouriques couvrent le clapotis des cascades. En ce lieu, les défunts sont les égaux des stars, cernés par une illusion de grandeur qui n'est que chiqué. Plus que dans toute autre satire des mœurs hollywoodiennes, le Camp est ici directement lié à la mort de par le cadre même du film, qui confond dans une même démesure la pompe de l'usine à rêves et celle de l'industrie du trépas.

Waugh décéda deux semaines après la sortie du film, qu'il détestait. Dans une lettre adressée à Tony Richardson, il répétait sa déception que l'adaptation de son roman n'eût pas été confiée à Luis Bunuel, comme il en avait été question (les vedettes pressenties étaient Alec Guinness et Shirley MacLaine). On conçoit que le cinéaste espagnol aurait apporté une tout autre tonalité au sujet, jouant de ses potentialités insolites et macabres dans une perspective moins Camp que celle du cinéaste anglais — et probablement moins gay friendly. Sur ce dernier point, Ce Cher disparu est des plus explicites. On raconte que le propre co-producteur du film, John Calley, le définit un jour avec humeur comme un « défilé de pédés », ce qui en dit long sur sa déconvenue. La distribution est en effet l'une des plus éloquentes en la matière, entre les homosexuels John Gielgud, Roddy McDowall, Tab Hunter et Liberace, les acteurs connotés comme Robert Morley et Alan Napier, et le numéro très follingue de Rod Steiger sans parler du co-scénariste Christopher Isherwood et du bisexuel Tony Richardson.

Robert MORLEY (g.) et Robert MORSE (d.)

La communauté anglaise, présidée par le très affecté Sir Abercrombie, soudée par l'observance de codes stricts et le mépris de la goujaterie ambiante, constitue au sein des studios un îlot d'élégance et de raffinement, et pourrait aisément passer pour un cercle gay très fermé. Lors de son assemblée, le discours prononcé par Abercrombie insiste sur la nécessité du « paraître » (autrement dit, de "passer pour straight"), sur l'image que tout gentleman se doit d'assumer aux yeux du monde : « Ne jamais faire à la ville ce que je ne ferai pas à l'écran, ne jamais faire à l'écran ce que je ne ferai pas à la ville. » Ce précepte interdit notamment d'accepter un emploi indigne de son image, comme le rappelle Abercrombie au jeune Dennis ; celui-ci ne s'en fait pas moins embaucher dans un hammam — lieu traditionnellement associé à la communauté homo. Les premiers pas de Dennis à Hollywood sont ainsi parrainés par une société crypto-gay, dont son oncle, Sir Francis, est le membre le moins « crypté ». John Gielgud prend un plaisir manifeste à ciseler une silhouette d'artiste précieux et désabusé, inadapté à la vie hollywoodienne malgré trente années passées dans les studios, peignant des toiles pompières dans un peignoir de soie et sous la protection d'une ombrelle. Les auteurs le parent d'une aura desmondienne lorsque, prenant le petit-déjeuner au bord de sa piscine délabrée et colonisée par les rats, il évoque la splendeur passée de son cottage. C'est au-dessus de cette piscine qu'il se pendra après son limogeage sans préavis — auparavant, il avait été relégué à l'emploi subalterne de coach d'un acteur de westerns, à qui il devait inculquer l'accent anglais pour en faire un James Bond plus policé que l'original.

L'autre grande figure gay du film est l'inénarrable M. Joyboy, chef embaumeur tatillon de Whispering Glades, dont un Rod Steiger affublé de cheveux blonds fignole les maniérismes et les déhanchements. Ses scènes avec sa mère, « points culminants de cinéma comique brut » selon William Emerson, suffiraient à elles seules à faire entrer Ce Cher disparu au panthéon du cinéma Camp. Pachydermique et demeurée, Mme Joyboy passe ses journées vautrée sur son lit à regarder la télévision tout en engloutissant d'effrayantes quantités de nourriture. Elles voue un véritable culte aux spots publicitaires alimentaires, qui ont le don de creuser son appétit déjà béant, et dont elle se goinfre avec la même délectation que des monceaux de victuailles cuisinées par son fils. Son plus cher compagnon est un mainate baptisé Gandhi (« Parce qu'il est si maigre ! ») qui aime à répéter que « la mort n'existe pas ». Un plan bref le montrant en train de picorer l'œil d'un cochon de lait semble emprunté au film qu'aurait pu tourner Bunuel, tout comme le monstrueux cauchemar œdipien raconté par Joyboy : apportant à sa mère un plat de homards géants amoureusement mitonnés, il voit avec horreur les crustacés reprendre vie et la dévorer tout entière ! Fatigué de devoir la laver à l'éponge, il économise vaillamment pour lui offrir une baignoire à ses mesures. Mme Joyboy s'impose comme l'incarnation ultime d'une maternité anthropophage, sorte d'amibe irrassasiable compensant sa fonction procréatrice par l'empiffrement. Bien que son fils voit en elle « une véritable reine », elle n'est plus qu'un corps pléthorique et abyssal — un monstre envahissant, comme l'enfant-fœtus de Eraserhead (ce n'est pas sans raison que Ce Cher disparu fut parfois décrit comme la rencontre de David Lynch et des Monty Python).

Rod STEIGER et Anjanette COMER

Icône de la culture Camp, le pianiste et showman Liberace fait une apparition remarquée en vendeur de cercueils onctueux et stylé, vantant les mérites respectifs des capitonnages en rayonne ou en soie, expliquant les subtiles différences entre étanchéité, résistance à la moiteur et protection contre l'humidité, et incitant Dennis à acheter un costume spécialement adapté aux défunts et des chaussures idoines, car « les pieds ont tendance à se recourber » dans la mort... Il réapparaît brièvement dans l'une des scènes les plus délirantes du film : l'orgie dans le funérarium. Afin de gagner les faveurs du commandant des forces aéronautiques, le Révérend Glenworthy organise une petite sauterie dans un salon mortuaire. Les cercueils libèrent des filles dénudées, au grand ravissement des gradés ; l'un des couvercles s'ouvre sur Liberace, qui demande galamment du feu à l'un des militaires, nullement décontenancé. Ces petits détails dont le film est parsemé ajoutent grandement à sa saveur queer.

Liberace

Le queer, dans sa traduction littérale et non « homorientée » (« étrange » , « tordu »), trouve une représentante exemplaire en la personne d'Aimée Thanatogenous, « esthéticienne de la chambre du sommeil », bientôt promue « Première Dame Embaumeuse des Clairières Chuchotantes ». Eperdument éprise de son travail, inconditionnellement dévouée au Révérend Glenworthy, elle ne s'épanouit que dans la compagnie des morts et l'enceinte du cimetière. D'abord réfractaire aux avances de Dennis (elle lui avoue n'être attirée que par les jeunes enfants et les vieillards, car ils sont les plus exposés à la mort), elle se laisse finalement courtiser, sans grande conviction. M. Boyjoy semble la séduire davantage, de par sa profession d'embaumeur et sa position enviable au sein des Clairières Chuchotantes ; mais la rencontre traumatisante avec sa mère ne tarde pas à la faire déchanter. Déroutée face à l'amour, elle se réfère aux conseils d'un pseudo gourou tenant le courrier du cœur d'une gazette, qui se révèlera n'être qu'un chroniqueur cynique et alcoolique. Sa maison, construite sur un glissement de terrain et menaçant de s'effondrer au moindre pas de ses occupants, est son seul refuge après la nécropole ; là encore, la présence d'un danger mortel la rassure et la met en joie — superbe idée de scénariste que cette familiarité résignée du personnage avec la mort dans son cadre quotidien. « Je ne connais rien de plus beau et de plus excitant que le repos éternel », s'exclame-t-elle en faisant de la balançoire au bord du gouffre que surplombe sa véranda. Nécrophile inconsciente, Aimée Thanatogenos célèbrera ses épousailles avec la mort dans ce qui est peut-être la scène la plus dérangeante du film : l'auto-embaumement auquel elle procède cérémonieusement, allant jusqu'à se maquiller au préalable avec les accessoires qu'elle utilise pour les cadavres.

Anjanette COMER prépare son embaumement

Pour beaucoup de critiques, l'aspect le plus déplaisant de Ce Cher disparu est sa misogynie, jugée caractéristique de Tony Richardson et de Terry Southern. S'il est vrai que le film dresse une galerie de portraits féminins guère reluisante (on peut y ajouter la veuve de l'astronaute dont la dépouille doit être envoyée dans l'espace — une go go girl défraîchie et nymphomane), les personnages masculins ne sont pas épargnés, à l'exception peut-être de l'oncle Francis, vieille folle désillusionnée et touchante. Le Révérend est un escroc abject et égocentrique ; son frère jumeau, gérant d'une succursale miteuse des Clairières destinée aux animaux morts, est un larbin acquis à ses magouilles ; le « gourou » de la presse du cœur est une épave amère et vitupérante (lorsqu'Aimée vient lui demander conseil, il lui suggère de se jeter du haut d'un immeuble) ; enfin, Dennis lui-même n'a rien de très attrayant. Ce Candide moderne simule la naïveté, et s'il commence par observer avec incrédulité les malversations qui l'entourent, il ne répugne pas en à devenir complice — ni à les reproduire dans le cimetière d'animaux où il est employé.

Le Révérend Glenworthy (Jonathan WINTERS)

Ce carnaval de monstres inspira de nombreux cinéastes de sensibilité Camp, à commencer par John Waters, qui trouva un équivalent à Mme Joyboy en son actrice fétiche Edith Massey, particulièrement dans son rôle de « la dame aux œufs » de Pink Flamingos. Une scène de mariage hilarante, où le prêtre bouscule les conjoints pour embrayer sur des obsèques, donna probablement des idées à Jim Sherman pour la première séquence du Rocky Horror Picture Show. Blake Edwards, à la fin de S.O.B., autre mémorable satire d'Hollywood, se rappela sans doute du finale du Cher Disparu : les deux films s'achèvent dans une morgue où l'on procède cocassement à une substitution de cadavres.

Maman Boyjoy (Ayllene GIBBONS)

L'échec commercial du film fut d'autant plus lourd pour la MGM que son budget s'élevait à plus de 5 millions de dollars, somme largement imputable aux caprices de Richardson. Le cinéaste espérait une révision de son salaire après avoir raflé plusieurs oscars pour Tom Jones ; il ne l'obtint pas, et résolut de se venger en multipliant les notes de frais astronomiques (les comédiens étaient quotidiennement abreuvés de Dom Pérignon et nourris de caviar), et en engageant des stars aux cachets mirobolants pour des rôles de figuration (James Coburn n'apparaît que trois minutes), tandis qu'il confiait les têtes d'affiche à deux parfaits inconnus : Robert Morse et Anjanette Comer. Cette décision n'était motivée que par la volonté de faire enrager la MGM (son contrat garantissait à Richardson les pleins pouvoirs sur le projet, fait extrêmement rare qui indique combien le jeune prodige était alors tenu en haute estime.) La firme, dans un esprit de rancune tout aussi dérisoire, saborda le lancement du film, lui assurant une publicité minimale et une diffusion limitée (il resta invisible durant des décennies après sa brève exploitation.) Richardson, sérieusement échaudé, regagna l'Angleterre pour y tourner Mademoiselle d'après Jean Genet, et devint l'un de ces nombreux « disparus » européens que Hollywood s'épargna de pleurer.