L'un des derniers survivants de l'Age d'Or de l'épouvante anglaise (après lui, ne restent plus que Christopher LEE et Herbert LOM), Michael GOUGH, disparu le 17 mars dernier, fut le comédien le plus Camp de cette lignée d'interprètes qui, de Peter CUSHING à Donald PLEASENCE, en passant par Anton DIFFRING et Ferdy MAYNE, acquirent la célébrité et un statut "culte" en se spécialisant dans le domaine de l'horreur lorsque le genre connut une nouvelle vogue en Angleterre à la fin des années 50, et alors que rien ne les y prédisposait particulièrement.
Si la plupart de ces acteurs, de solide formation théâtrale, se distinguèrent à l'écran par un art consommé de la nuance et de l'économie de moyens (contrairement à une star américaine comme Vincent PRICE, adepte de la démesure et de la distanciation campy), GOUGH se signala dès son premier rôle en vedette dans l'épouvante (le criminologue meurtrier Edmond Bancroft de Crimes au musée des horreurs) comme ce qu'il est convenu d'appeler "un cabot" (appellation nullement péjorative à mes yeux) : hyperexpressif, outrancier, refusant tout naturalisme en faveur de la performance voyante, il se créa un personnage excessif et flamboyant, à la fois inquiétant et drôle. Ce registre auquel la plupart des comédiens britanniques sont fermés (du moins à l'écran, car il en allait tout autrement sur les planches pour les acteurs de la génération de GOUGH), en fit l'héritier d'une tradition grand-guignolesque, très démonstrative et queer, que l'on rencontre plus fréquemment aux Etats-Unis que sur les verts rivages de la perfide Albion. A vrai dire, un seul comédien anglais (monstrueusement négligé des fantasticophiles) osa se risquer avant lui sur le terrain savonneux de l'emphase Camp : j'ai nommé Tod SLAUGHTER, diva masculine du mélodrame horrifique dans les années 30/40...
Jean-Marie SABATIER n'avait qu'une vingtaine d'années lorsqu'il signa en 1973 cette somme d'une folle érudition. Certains de ses amis, comme Jean ROLLIN et Alain VENISSE, m'ont brossé de ce cinéphage fantasticophile un portrait étonnant : mal à l'aise dans son époque et affichant des attitudes aristocratiques, il refusait le tutoiement, même avec ses amis les plus proches, et finit par se retirer dans une abbaye qu'il avait achetée, coupant tous les ponts avec son entourage. Ses camarades critiques se demandèrent souvent comment il put écrire, à un aussi jeune âge, un ouvrage si parfaitement documenté à une époque où la vidéo, le DVD et internet n'existaient pas... Vers la fin des années 70, ayant rejeté toute vie sociale, il ne donnait de ses nouvelles qu'à sa mère, qui gardait le secret sur son lieu de résidence. Il semble d'ailleurs que nul ne sache vraiment s'il est aujourd'hui décédé ou vivant...
Monsieur SABATIER, où que vous soyez, cette chronique vous est dédiée...
Michael GOUGH par Jean-Marie SABATIER :
Jouant admirablement de son physique étrange, il sait rendre marquante une simple silhouette (le commissaire-priseur, presque figurant dans The Skull) ou animer le personnage le plus terne (l'insignifiant Arthur Holmwood dans Horror of Dracula). Excentrique et cabotin dans les limites de crédibilité qu'il sait ne jamais excéder, il use de son jeu fortement "distancié" pour caricaturer des personnages cyniques, un rien tarés et innocemment sadiques. Il est l'écrivain dément de Horrors of the Black Museum qui, désireux de posséder un "Musée Noir" plus impressionnant encore que celui de Scotland Yard s'amuse à commettre en dilettante quelques assassinats amoureusement raffinés pour l'unique joie de collectionner les armes du crime et de conter à ses lecteurs, avec moult croustillants détails, l'extatique beauté des agonies. Il est l'aristocrate vicelard de The Phantom of the Opera ou, dans The Black Zoo, le doux adhérent de la S.P.A. qui, jouant Bach sur son orgue, s'interrompt de temps à autre pour faire distraitement dévorer par ses félins quelque importun visiteur.
Son meilleur rôle, hélas trop épisodique, il le tient dans Dr. Terror's House of Horrors dont la présence de GOUGH au générique est d'ailleurs le seul intérêt : il faut le voir confectionner des grenouilles en papier et les agiter à la barbe de Christopher LEE tandis que celui-ci porte un toast devant une officielle assemblée. Spécialisé dans les rôles d'artistes et d'esthètes décadents, il est normal que les producteurs le délaissent un peu : il est trop personnel, trop ironique et trop hautain pour faire carrière dans un cinéma où l'uniformité des médiocrités est souvent règle d'or. Car avec un peu de talent et de bonne volonté, ses réalisateurs en auraient aisément pu faire quelque équivalent d'un LUGOSI dans les années 60.
Un hommage rendu à Michael GOUGH par un usager de YouTube (Daswoin) (ou comment la jeune génération, incapable de voir plus loin que les années 1990/2000, résume le travail d'un acteur à son seul rôle du serviteur de BATMAN... Mais bon, c'est mieux que rien...)
Si la plupart de ces acteurs, de solide formation théâtrale, se distinguèrent à l'écran par un art consommé de la nuance et de l'économie de moyens (contrairement à une star américaine comme Vincent PRICE, adepte de la démesure et de la distanciation campy), GOUGH se signala dès son premier rôle en vedette dans l'épouvante (le criminologue meurtrier Edmond Bancroft de Crimes au musée des horreurs) comme ce qu'il est convenu d'appeler "un cabot" (appellation nullement péjorative à mes yeux) : hyperexpressif, outrancier, refusant tout naturalisme en faveur de la performance voyante, il se créa un personnage excessif et flamboyant, à la fois inquiétant et drôle. Ce registre auquel la plupart des comédiens britanniques sont fermés (du moins à l'écran, car il en allait tout autrement sur les planches pour les acteurs de la génération de GOUGH), en fit l'héritier d'une tradition grand-guignolesque, très démonstrative et queer, que l'on rencontre plus fréquemment aux Etats-Unis que sur les verts rivages de la perfide Albion. A vrai dire, un seul comédien anglais (monstrueusement négligé des fantasticophiles) osa se risquer avant lui sur le terrain savonneux de l'emphase Camp : j'ai nommé Tod SLAUGHTER, diva masculine du mélodrame horrifique dans les années 30/40...
Tod SLAUGHTER, barbier dément de Fleet Street, bien avant Johnny DEPP
Il y a chez GOUGH un goût enivrant du vertige pataphysique, de l'exagération clownesque, voire de l'élucubration follingue, que l'on rencontre rarement chez les ténors de l'épouvante anglaise que sont CUSHING et LEE, dignes représentants d'une retenue typiquement "british" qui, pour être admirable sur le plan dramatique, est parfois frustrante pour les amateurs du cinéma fantastique, souvent partisans du second degré...GOUGH dans Le Fantôme de l'Opéra de Terence FISHER (1962)
Je ne vois de meilleur hommage à lui rendre que de reproduire la notice que lui consacra Jean-Marie SABATIER dans son mythique Les Classiques du cinéma fantastique, l'un des premiers ouvrages dédiés au genre en France, et, à ce jour, le plus pertinent jamais publié...
Jean-Marie SABATIER n'avait qu'une vingtaine d'années lorsqu'il signa en 1973 cette somme d'une folle érudition. Certains de ses amis, comme Jean ROLLIN et Alain VENISSE, m'ont brossé de ce cinéphage fantasticophile un portrait étonnant : mal à l'aise dans son époque et affichant des attitudes aristocratiques, il refusait le tutoiement, même avec ses amis les plus proches, et finit par se retirer dans une abbaye qu'il avait achetée, coupant tous les ponts avec son entourage. Ses camarades critiques se demandèrent souvent comment il put écrire, à un aussi jeune âge, un ouvrage si parfaitement documenté à une époque où la vidéo, le DVD et internet n'existaient pas... Vers la fin des années 70, ayant rejeté toute vie sociale, il ne donnait de ses nouvelles qu'à sa mère, qui gardait le secret sur son lieu de résidence. Il semble d'ailleurs que nul ne sache vraiment s'il est aujourd'hui décédé ou vivant...
Monsieur SABATIER, où que vous soyez, cette chronique vous est dédiée...
Michael GOUGH par Jean-Marie SABATIER :
Jouant admirablement de son physique étrange, il sait rendre marquante une simple silhouette (le commissaire-priseur, presque figurant dans The Skull) ou animer le personnage le plus terne (l'insignifiant Arthur Holmwood dans Horror of Dracula). Excentrique et cabotin dans les limites de crédibilité qu'il sait ne jamais excéder, il use de son jeu fortement "distancié" pour caricaturer des personnages cyniques, un rien tarés et innocemment sadiques. Il est l'écrivain dément de Horrors of the Black Museum qui, désireux de posséder un "Musée Noir" plus impressionnant encore que celui de Scotland Yard s'amuse à commettre en dilettante quelques assassinats amoureusement raffinés pour l'unique joie de collectionner les armes du crime et de conter à ses lecteurs, avec moult croustillants détails, l'extatique beauté des agonies. Il est l'aristocrate vicelard de The Phantom of the Opera ou, dans The Black Zoo, le doux adhérent de la S.P.A. qui, jouant Bach sur son orgue, s'interrompt de temps à autre pour faire distraitement dévorer par ses félins quelque importun visiteur.
Son meilleur rôle, hélas trop épisodique, il le tient dans Dr. Terror's House of Horrors dont la présence de GOUGH au générique est d'ailleurs le seul intérêt : il faut le voir confectionner des grenouilles en papier et les agiter à la barbe de Christopher LEE tandis que celui-ci porte un toast devant une officielle assemblée. Spécialisé dans les rôles d'artistes et d'esthètes décadents, il est normal que les producteurs le délaissent un peu : il est trop personnel, trop ironique et trop hautain pour faire carrière dans un cinéma où l'uniformité des médiocrités est souvent règle d'or. Car avec un peu de talent et de bonne volonté, ses réalisateurs en auraient aisément pu faire quelque équivalent d'un LUGOSI dans les années 60.
Un hommage rendu à Michael GOUGH par un usager de YouTube (Daswoin) (ou comment la jeune génération, incapable de voir plus loin que les années 1990/2000, résume le travail d'un acteur à son seul rôle du serviteur de BATMAN... Mais bon, c'est mieux que rien...)
comme toujours, un splendide hommage à un comédien qui le mérite bien....
RépondreSupprimerEn tout cas c'est ce genre de film qui permet de faire connaître ces comédiens-là à la "jeune génération" ; j'ai ainsi découvert l'immense Judi Dench grâce aux James Bond...
RépondreSupprimerMerci pour l'hommage à Jean-Marie Sabatier, dont l'ouvrage (que je chéris entre tous dans ma bibliothèque, j'en vois justement la tranche en écrivant ceci) que j'ai trouvé d'occasion dans une brocante il y a plus longtemps que j'ose le dire, m'a révélé les richesses du cinéma d'horror. Sabatier - et lui seul - m'a appris qu'on devait tout voir et faire ensuite le tri et que tous les goûts, au cinéma comme ailleurs, quand on sait les argumenter, sont respectables. Je ne connaissais pas le parcours et l'étrange eclipse du personnage, qui me le rend encore plus sympathique. TP
RépondreSupprimerJe souscris tout à fait à ce que vient de dire mon homonyme. Il est troublant de lire des propos qu'on aurait pu tenir signés de son propre pseudo... Et c'est aussi grâce à cette confusion (qui semble vous avoir conduites jusqu'à mon blog...) que j'ai découvert avec grand plaisir "Mein Camp".
RépondreSupprimerDonc moult mercis !