"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



dimanche 26 mai 2013

Lana morphosée


SPÉCIAL FÊTE DES MÈRES
par BBJane Hudson

Depuis Mommie Dearest, on sait que les relations des mères hollywoodiennes avec leurs filles tiennent davantage du chemin de croix que du jardin de roses. Si toutes les mamans-stars ne furent pas aussi psychopathes que Joan CRAWFORD, rares sont celles qui peuvent se targuer d'avoir instauré un climat favorable à l'épanouissement de leur progéniture femelle. Le cas de Lana TURNER et de sa fille Cheryl CRANE n'est qu'un exemple parmi tant d'autres des effets calamiteux d'une éducation négligée en terre californienne.

Mère et fille : les jours heureux...

Femme à hommes inaltérable et dotée de goûts éclectiques (elle s'envoya successivement Frank SINATRA, Howard HUGHES, Tyrone POWER, Lex BARKER -- liste non exhaustive), Lana avait un faible prononcé pour les rapports musclés pimentés de SM, et trouvait à l'humiliation des vertus puissamment aphrodisiaques. En se liant au gigolo et gangster notoire Johnny STOMPANATO, elle décrocha le gros lot en matière de pugilisme amoureux, de vexations barbares et de pains dans la gueule. Leur idylle tapageuse connut un épilogue explosif lorsque la jeune Cheryl, fille de Lana et de l'acteur-restaurateur Joseph Stephen CRANE, âgée de 14 ans, descendit le marlou de plusieurs coups de couteau, afin de prévenir le tabassage en règle de sa mère lors d'une soirée particulièrement belliqueuse.

Johnny et Lana

A l'issue d'un procès amplement médiatisé, le jury opta pour la légitime défense après que Lana se fût livrée, à la barre des témoins, à un impressionnant numéro d'amante outragée et de mère éplorée, dont tous les assistants s'accordèrent à souligner la haute teneur en dramacouinage et le fort potentiel oscarisable.
Négociant le scandale à son avantage, Lana avait fait de sa déposition le moment dramatique le plus spectaculaire et le plus abouti de sa carrière (par ailleurs déclinante), la performance la plus éblouissante qu'une actrice aussi limitée eût jamais accomplie en un lieu aussi peu glamour qu'un tribunal.

 Tiens bon la barre, Lana !... (Un grand moment de cabotinage juridique...)

Ce qui promettait d'être une dégringolade professionnelle aussi bien que privée, devint le tremplin d'une seconde carrière placée sous le signe de la grandiloquence meurtrie, du pathos échevelé, du mélodrame ébouriffant. On peut dire que Lana, rebondissant sur un gadin vertigineux, trouva soudain sa voie de comédienne, sa raison d'être à l'écran.
Dès lors, elle ne travailla plus que dans le sublime, enfilant les soap operas exubérants, dont les scénarios étaient souvent inspirés de ses déboires privés. Durant les années 1950-60, elle campa avec une sorte d'implication extatique, les mères bafouées et les maîtresses à la ramasse, le plus souvent sous la férule de son admirateur transi, le producteur gay Ross HUNTER.
Le sommet de cette reconversion aux allures de résurrection fut sans doute Madame X, quintessence du mélodrame flamboyant et monument Camp absolu. Le nadir en fut The Big Cube, ahurissant brassage de mélo naphtaliné et de teen movie psychédélique, surfant tardivement sur la vague un peu aplatie du cinéma de drugsploitation (films exposant les splendeurs et les servitudes des substances psychotropes hallucinogènes, et en particulier du bon vieux diéthylamide de l'acide lysergique, plus connu sous l'acronyme LSD).


The Big Cube fait de Lana une star du théâtre renonçant à sa carrière pour épouser un riche entrepreneur (Dan O'HERLIHY). La fille de ce dernier (Karin MOSSBERG) voit la chose d'un très mauvais œil et, désireuse d'anticiper ses droits à l'héritage paternel, s'acoquine avec un séduisant dealer (George CHAKIRIS) pour éliminer sa belle-doche après la mort accidentelle de son vieux. A cette fin, elle introduit subrepticement du LSD dans les médicaments de Lana, provoquant chez la malheureuse des hallucinations en Eastmancolor du plus piquant effet -- surtout lorsqu'il est rehaussé par les riboulements d'yeux de la grande tragédienne, atterrée par ces inexplicables pétages de plombs.
Un exemple de ces visions folkloriques peut être apprécié dans la scène qui suit, où Lana voit la mer dans le ciel, et fait l'objet d'une fausse tentative de meurtre dont on discerne mal la finalité -- en agissant de la sorte, la jeune fille et son amant s'exposent surtout à éventer leur plan... Pas très futé de la part de ces "adolescents" ayant largement dépassé la limite d'âge (CHAKIRIS et MOSSBERG avaient respectivement 35 et 27 ans...)



Dans le registre Camp, on saluera également la prestation de Regina TORNE en "Queen Bee", reine d'une boîte de nuit baptisée "The Trip", qui, dans sa combinaison rayée jaune et noire, a tout d'une drag-queen féminine. Le film fut co-produit par Robert EATON, avant-dernier époux de Lana, dans un louable effort pour moderniser l'image de la star. Manque de bol : il ne fit qu'en accuser la désuétude, et fut un flop complet.

2 commentaires:

  1. Ouille, ouille ouille... que c'est mauvais... Tout ça pour pouvoir redécorer la carrosserie de sa bagnole...

    RépondreSupprimer
  2. ...et encore, ce n'est ici qu'une infime portion de l'incroyable gloubiboulga de l'ensemble! ...je ne remercierai jamais assez ma vénérable et vénéneuse BBJane de m'avoir fait découvrir cette pure merveille de glamour psychédélico-faisandé!

    RépondreSupprimer