BB'S MOVIES
par BBJane Hudson
Imaginons que vous ayez un
rendez-vous d'une extrême importance (style déjeuner galant avec
BBJane ou première d'un spectacle de Valentine Deluxe), nécessitant
une ponctualité si rigoureuse que vous avez quitté votre domicile
en vous ménageant une bonne heure d'avance sur l'horaire convenu, et
que vous croisiez dans la rue un ami dont vous n'ignorez pas qu'il
est grand amateur de Camp (il vous a vivement conseillé, le mois
dernier, de dévorer l'intégralité des
chroniques de ce blog). Dans une telle situation, vous serez avisé de ne
surtout pas prononcer – même poussé par une absolue nécessité – les mots « cobra » et « woman »,
à plus forte raison si, au lieu de les disséminer dans la
conversation, vous commettez l'imprudence de les accoler l'un à
l'autre.
Il vous faudrait alors subir une logorrhée de trois heures, ponctuée de glapissements stridents, de trémulations et de soupirs pâmés, où se presseront des termes et des formules qui risqueront fort d'ébranler votre entendement, tels que : « Naja », « Tollea », « Sabu », « Mariamontez », « Joo meen, joo are maï grandmozer », « Gif me dat cobra jioul », ou le plus intelligible « Fabuleusement sublissime ! » ; une logorrhée, disais-je, qui ruinerait définitivement tout espoir d'atteindre votre destination dans les délais impartis.
Imprégnez-vous de ce conseil, et si l'occasion d'en tirer profit se présente, n'hésitez pas à m'en remercier...
Il vous faudrait alors subir une logorrhée de trois heures, ponctuée de glapissements stridents, de trémulations et de soupirs pâmés, où se presseront des termes et des formules qui risqueront fort d'ébranler votre entendement, tels que : « Naja », « Tollea », « Sabu », « Mariamontez », « Joo meen, joo are maï grandmozer », « Gif me dat cobra jioul », ou le plus intelligible « Fabuleusement sublissime ! » ; une logorrhée, disais-je, qui ruinerait définitivement tout espoir d'atteindre votre destination dans les délais impartis.
Imprégnez-vous de ce conseil, et si l'occasion d'en tirer profit se présente, n'hésitez pas à m'en remercier...
Car Cobra Woman se
trouve être le titre de l'un des dix ou quinze films qui sont au
Camp ce que la mode de Caen est aux tripes, ce que la Tour Eiffel est à
Paris, et ce que le verre de whisky est à votre servante : un
composant indissociable ayant valeur métonymique. En d'autres
termes, Cobra Woman est l'un des films Camp absolus, un mètre-étalon
du concept, à ranger auprès d'œuvres-sommes comme Maman très chère, Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, ou Myra Breckinridge.
D'où vient que ce film de Robert SIODMAK jouit d'une popularité campesque aussi enviable ?
La
réponse est simple : de TOUT ! D'un scénario ludique au schématisme
bon enfant, de dialogues d'une stupidité amoureusement ciselée,
d'un Technicolor plus rutilant qu'une vitrine de Noël des Galeries
Lafayette, d'une musique emphatique et redondante dont chaque mesure
vous en fout plein les tympans, de décors d'un baroquisme échevelé,
de costumes d'une fabulosité insolente, et d'un casting à grimper aux
rideaux à la force des dents et en trois coups de mâchoires...
On y retrouve Jon HALL, le héros sans peur ni reproche le plus insipide de l'écran hollywoodien (bien qu'ayant vu l'essentiel de sa filmographie, je suis toujours infichue de mémoriser sa binette...), SABU, le cliché racial ambulant, spécialiste des rôles de jeunes indigènes semi-nus et chouchou des colonialistes invertis, et Lon CHANEY Jr., spécialiste des rôles à poil (surtout les loups-garous) ayant promené sa bonhommie rugueuse dans tous les grands genres populaires.
On y retrouve Jon HALL, le héros sans peur ni reproche le plus insipide de l'écran hollywoodien (bien qu'ayant vu l'essentiel de sa filmographie, je suis toujours infichue de mémoriser sa binette...), SABU, le cliché racial ambulant, spécialiste des rôles de jeunes indigènes semi-nus et chouchou des colonialistes invertis, et Lon CHANEY Jr., spécialiste des rôles à poil (surtout les loups-garous) ayant promené sa bonhommie rugueuse dans tous les grands genres populaires.
Et, bien sûr, Maria MONTEZ. La Reine des Mille et Une Nuits. L'impératrice du kitsch et du Camp. L'ambassadrice de la
contre-performance. La Plus Belle Femme du Monde, doublée de la plus
piètre actrice (ou de la plus sublime, selon vos critères de
jugement). L'égérie de Jack SMITH, cinéaste underground qui lui
vouait un culte exclusif et qui lui consacra des pages brûlantes, et le modèle de
tous les travestis d'Amérique (du moins ceux des années 60
à 80), pour qui un show sans une imitation de Maria était
comparable à un couscous sans semoule ni harissa.
D'origine
dominicaine (j'entends, native de Saint-Domingue, et non membre de
l'Ordre des Prêcheurs initié par Saint Dominique), Maria devint
dans les années 40 l'interprète privilégiée des films d'aventures
exotiques produits par la Universal, où elle promenait avec une classe
inégalée son incomparable beauté et son indéchiffrable accent, mélange improbable d'espagnol,
de patois cévenol et de javanais, sonnant à l'oreille comme une
forme inédite d'espéranto.
Quelques exemples tirés de ce film : dans sa jolie bouche, que l'on imagine
encombrée de fromage blanc ou de purée de brocolis, des phrases
aussi lumineuses que « Give me that cobra jewel ! »
(« Rends-moi le bijou du cobra ! ») ou « You mean, you are my grandmother ? » ( « Vous voulez dire que vous êtes ma grand-mère ? ») deviennent « Gif me
dat cobra jioul ! » et « Joo meen, joo arre my grandmozer? » -- intraduisible en français, sinon peut-être par : « Rench'moi
le bayou du copra ! » et « Fous foulez tire que vous y êtes ma grammaire ! »... On peut y ajouter le fameux « I have spoken ! »
dont Maria ponctue chacune de ses sentences les plus décisives, et qui
donne en français « Ch'ai dit ! » et en dialecte montezien : « I haffe spoken ! ».
Robert SIODMAK narrait à son propos : "Maria MONTEZ était une grande personnalité qui croyait complètement à ses rôles. Si elle incarnait une princesse, vous deviez la traiter comme telle ; si elle jouait une esclave, vous pouviez la malmener de même. Une adepte de la "Méthode" avant l'heure..."
Ainsi que me l'écrivait récemment mon ami Greg MacKELLAN sur Facebook : "Si elle avait pris des douches au lieu de bains, peut-être vivrait-elle encore." Car la pauvre Maria mourut noyée dans sa baignoire, après avoir été victime d'un malaise cardiaque (d'ailleurs provoqué par sa manie de s'immerger dans de l'eau bouillante et salée afin de perdre du poids...)
Cobra Woman reste son film
le plus emblématique, le plus ornementé, le plus extravagant, celui où son
talent éclate et époustoufle plus qu'à l'ordinaire, d'autant que
ce n'est pas une, mais deux Maria qui nous y sont offertes, la
divinissime jouant à la fois l'héroïne, Tollea, et sa méchante sœur
jumelle, Naja, grande prêtresse du Culte du Cobra sur une île imaginaire de l'Océan Indien. La gentille Maria est kidnappée la
veille de ses noces par un émissaire de sa grand-mère, qui souhaite la
voir affronter la vilaine Maria, usurpatrice de ses fonctions. L'un
des signes révélateurs de la cruauté de Naja est qu'elle n'aime
rien tant que de sacrifier les îliens au terrible Dieu
Cobra, en leur faisant gravir les mille marches menant au cratère
d'un volcan voisin, dans lequel ils sont priés de piquer une tête.
La
scène qui suit nous montre comment se produit la sélection des
victimes propitiatoires. Elle est entrée dans les annales du high camp, passant jusqu'à l'usure
sur les magnétoscopes et lecteurs DVD de générations de campers, qui n'hésitent généralement pas à la mimer in extenso --
sauf lorsque, terrassés par tant de beauté, ils perdent
connaissance en poussant un cri de belette enculée par un éléphant.
(Notons qu'une autre scène produit un effet similaire sur les fans : celle de la mort de Naja, qui,
lançant une hallebarde sur sa sœur, est rétro-propulsée dans le vide par l'effet
conjugué de la puissance de son lancer, de l'encombrement de ses
vêtements, et de la hauteur de ses talons...)
Mais revenons à
l'extrait que je vous propose. Passé à la postérité sous le nom
de « Danse du Cobra », il nous montre Maria se déhanchant
avec une sensualité épileptique devant un symbole phallique vivant,
dans un lamé d'argent du plus scintillant effet. Face à elle, son
peuple extatique effectue une variation locale du salut fasciste, qui
consiste à lever le bras droit en lui imprimant des ondulations
reptiliennes. Au plus fort de sa chorégraphie choréique, Maria, un air méchant placardé sur la fiole, désigne d'un
doigt impératif, et comme à l'aveuglette, les infortunés élus
destinés à se taper les mille marches menant au plongeoir
volcanique, d'où ils effectueront le grand saut dans la lave
sacrificielle...
C'est grandiose, c'est titanesque, c'est
ahurissant... C'est Camp !...
Plutôt que sur cette pôv' mâme Montez (qui devrait donner posthumement espoir à Dujardin pour sa carrière hollywoodienne, parce c'est la même qualité d'anglais), c'est sur Siodmak que je déverserais mon venin (hihi)
RépondreSupprimerComment a-t-il pu dire oui à cette direction artistique?
Au trou dans le décor qui ne permet pas au cobra en papier mâché pas raccord de suivre la danse d'un érotisme sulfureux et raffiné de sa maitresse sur plus de 45°?
Aux gardes qui chopent des figurants non désignés par la prêtresse?
Aux héros qui se gardent bien d'avoir la moindre expression face au spectacle dépravé et cruel qui se déroule devant leurs petits yeux pas bien réveillés???
je viens enfin de le regarder en entier (tanx BB for the precious link!!!) ...c'est sublime, que dire d'autre, sublime! je ne pense pas avoir déjà vu quelque chose de semblable, car ici on a un niveau de crétinerie qu'on ne trouve guère que chez Ed Wood où ses émules mais avec ce somptueux Technicolor (j'en ai encore mal aux yeux) ces costumes chatoyant (à faire passer une revue de l'Alcazar pour épure bressonienne!)...comme actrice c'est déjà pas mal, mais comme danseuse, ça emporte tout! ...elle avait de l'arthrite? la sclérose en plaque commençait elle de secret ravage? ...et dire qu'ils se sont mis à deux pour écrire le script?!? (...script dont on a souvent l'impression que quelques pages ont été égarées en route d'ailleurs)
RépondreSupprimerEt la mort de la méchante Maria!!! ...les autres films de la môme Montez sont ils du même tonneaux? (j'en doute, ça serait trop beau!!!)