"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



mercredi 10 octobre 2012

LE TRAVAIL REND LIBRE


BB'S MOVIES
par BBJane Hudson

Ceux qui ne l'ignorent pas le savent bien : les jeunes d'aujourd'hui sont d'une indolence crasse. Des cagnards... des feignasses... Passant le plus clair de leur temps scotchés à leur console de jeu ou leur ordinateur, se répandant en billevesées asyntaxiques sur Twitter, ou rendant un compte scrupuleux de leur inactivité quotidienne sur Facebook. Leurs dix doigts ne leur servent qu'à tripoter leurs ePhones avec une compulsive hébétude, pour délivrer à leurs semblables des messages orthographiquement aberrants et d'une parfaite vacuité. 


C'était pas pareil de mon temps ! Nous, pour nous abrutir, nous n'avions guère que la télé, avec juste trois chaînes dedans, et bougrement parcimonieuses niveau programmation. Une douzaine d'heures de transmission, en comptant trois heures de speakerines et autant d'interludes, et la mire le reste du temps. Et je ne parle même pas de la génération de nos parents, qui d'ailleurs avaient mieux à faire que de glandouiller sur un web encore inexistant, de se bousiller les mirettes et le jinjin à coup d'insanités cathodiques, ou même de se prélasser au coin de leur poste à galène à écouter la TSF...


Non messieurs, non mesdames ! Leur temps libre, à cette époque-là, les jeunes l'occupaient à bosser ! Ils le convertissaient en temps d'astreinte ! Ils ne laissaient pas le poil leur pousser dans la main ! Ils savaient que la liberté réside dans le travail, et que rien n'émancipe autant qu'une bonne corvée...
Ma maman, par exemple, quand elle était jeune fille, faisait partie d'un groupe d'adolescentes catholiques et zélées ayant fait promesse d'assister leurs prochains en toute circonstance et de mettre à la pâte tout ce qu'elles comptaient de mains.
"Les Besogneuses Ardentes", qu'elles s'appelaient. D'un dévouement à toute épreuve, ces bénévoles industrieuses sillonnaient monts et vaux chaque dimanche, mettant leur assistance à la disposition du premier venu comme du dernier parti, s'envoyant les tâches les plus canulantes, et raffermissant, par l'exemple de leur enthousiasme inépuisable, les énergies mollissantes.


Aux Etats-Unis aussi, de telles formations fleurissaient, l'on s'en doute. On en trouve un émouvant exemple dans le somptueux soap opera rural de Delmer DAVES, Parrish, que célébra Joséphine BAKER dans sa fameuse chanson : "J'ai deux amours (mon pays et Parrish)".
Dans le rôle-titre, Troy DONAHUE, l'idole numéro 1 des midinettes américaines et le chouchou des cinéphiles invertis, affronte les avances de la quasi-totalité du casting féminin, à l'exception de Claudette COLBERT, qui incarne sa mère -- ça tombe mal, elle semble être la seule avec qui il ait réellement envie de baiser... Entre deux flirts, notre aimable dadais s'initie à la culture du tabac sous la férule d'un Karl MALDEN épuisant de cabotinage, et tente de restaurer la plantation défraîchie du père de l'une de ses multiples prétendantes


C'est alors que surgit une hallucinante formation de jeunes campagnardes, la "Girls' League", farouchement déterminée à lui prêter main forte pour les travaux des champs ! Ce joli monde, qui évoque de façon inquiétante une version féminine des Jeunesses Hitlériennes, se lance d'un pas décidé à l'assaut du travail en beuglant une variante locale du Horst Wessel Lied, puis repart de la même façon, laissant le spectateur ébaubi.
Un exemple à méditer pour nos générations d'adolescents fainéantissimes, et le clou Camp d'un film ingénieusement baptisé en français La Soif de la jeunesse -- parce que l'effort, ça vous sèche le gosier.
(Ils auront au moins évité de traduire le titre original par Le Pauvre -- ben oui, c'est bien ce qu'on est quand on est Parrish ?...)

(Oui, je sais, l'extrait est en espagnol ; j'ai pas pu trouver mieux, mais j'admets volontiers que l'allemand eût davantage convenu...)


3 commentaires:

  1. et n'oublions pas la suite, tournée dans les années 80, ou le beau Troy laisse tomber les plants de tabacs pour les gisements de pétrole: "Parrish, Texas"

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  2. mais déjà avant, la saga était tombée dans l'exploitation pure et simple, avec cet opus horrifique (et australien), sorte de MAD MAX avant la lettre: "les voitures qui ont mangé Parrish"

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  3. Bin non, quand j'étais petit je m'abrutissais devant... un ballon. Cela ne m'a pas rendu plus intelligent mais j'ai moins mal aux yeux que mes camarades du même âge que moi :-)
    s.h.

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