"Vous voyez ce qu'il veut dire, mademoiselle Skeffington ?..." #1
par Valentine Deluxe
Mes enfants,
l’heure est grave !
Je vais
vous demander un petit instant d’absolue franchise, aussi furtif qu’un pet de
lapin, mais qui ne pourra souffrir la moindre esquive vers la bien commode et
diplomatique hypocrisie, celle-là même qui nous sauve la mise plus souvent qu’à
notre tour dans c’te foutue chienne de
vie.
« Tu aimes ma nouvelle robe ?... »
« Tu ne trouves pas que j’ai un peu grossi ?... »
« Il est bon mon gigot ?... »
Qui d'entre nous n’y est
jamais allé de son petit mensonge blanc devant ces questions-pièges, ces suppliques
aux accents de désespoir, formulées avec des yeux de poney diabétique par des copines dépressives, toujours à deux
doigts d’ouvrir le robinet du gaz ?
"Tu aimes ma nouvelle robe ?... Tu ne trouves pas que j'ai un peu grossi ?..."
Eh bien pourtant, moi qui vous parle (enfin, « qui vous écris »), je vous demande -- une fois n’est pas coutume -- d’abandonner le tact et la conciliation pour la vérité la plus brutale et la moins fardée.
Approchez-vous et regardez-moi dans le blanc des yeux (que j’ai un peu jaune, suite
à l’excès de spiritueux frelaté dont nous faisons grande consommation dans les
bureaux rédactionnels de votre blog préféré), et avouez donc : en lisant
mes interminables phrases de 17 lignes sans respirations ni points-virgules,
devant mes métaphores brumeuses, ou face
à mes associations d’idées saugrenues, lequel d’entre vous ne s’est jamais demandé : « Mais
qu’est-ce qu’elle raconte ???... »
Hein ???
Hein,
dites ???
Hein qu’c’est vrai ???
Oui ?
… OUI !?!
Ah, bougres de p’tits salopiaux ! Y a
pas fallu vous pousser beaucoup pour que vous glissiez dans l’odieux et l’infâme!
En même temps, je l'avoue le front bas et le menton tremblant : vous n’avez pas tout à fait tort. Il est vrai que parfois, mon style quelque peu ampoulé et mes envolées lyriques ne rendent pas ma pensée aussi limpide, mon propos aussi immédiatement déchiffrable que je l’aurais souhaité. « Abondance de biens… », dit-on !
Mais vous
allez voir que je ne suis pas la seule dans ce cas… Car enfin,
et c’est là le but caché de cet interminable préambule (également une autre des
mes marques de fabrique), nous sommes ici pour inaugurer une rubrique !
Une
nouvelle rubrique donc, entièrement dévouée
à ces obscures figures de style
qui, au détour de l’une ou l’autre petite gâterie cinématographique, nous
font toujours nous gratter la tête avec incrédulité, en nous demandant si nous
n’aurions pas loupé quelque chose, un sous-texte, un message, voire une
cochonceté voilée sous la prose la plus amoureusement fleurie.
Une cochonceté voilée...
Pour illustrer mon propos, découvrons un morceau -- de bravoure ! -- d’une de ces petites merveilles que je n’aurai sans doute jamais connues sans l’extraordinaire érudition de ma copine de pige, l’indispensable, l’irremplaçable, l’inestimable Mlle BBJane Hudson en personne (pour ne pas la nommer, et sous vos applaudissements nourris).
La pépite
en question ? Susan Slade, un des ces sublimes
mélodrames dont le cinéma américain des années 50/60 avait le secret, tout en Technicolor sirupeux, en pose affectée et en intrigue tout droit sortie d’un
roman-photo pour midinettes.
Ce qui
sauve souvent (toujours ?) ces films de la dernière médiocrité, où aurait
pu les entraîner le matériau de base, c’est l’extraordinaire professionnalisme
de la machinerie. Dans le cas de ce film de Delmer DAVES, si la mayonnaise prend malgré la saccharine, c’est d’abord par la
grâce d’une distribution ébouriffante de conviction et absolument parfaite,
depuis les vieux briscards (Dorothy McGUIRE, Lloyd NOLAN, Natalie SCHAFER) jusqu'aux jeunes pousses (le craquant
minois de Connie STEVENS, ce grand échalas de Troy DONAHUE).
Ajoutez à cela l’absolue perfection de la photographie et de la direction artistique, dont le bon goût calculé se retrouve dans le plus anodin des décors -- il ne nous viendrait jamais à l’idée de vouloir changer le moindre bibelot, tant tout n’est que recherche et harmonie.
Ajoutez à cela l’absolue perfection de la photographie et de la direction artistique, dont le bon goût calculé se retrouve dans le plus anodin des décors -- il ne nous viendrait jamais à l’idée de vouloir changer le moindre bibelot, tant tout n’est que recherche et harmonie.
Bref, un
sans faute, quoi !
Et dans cette
histoire incroyablement nunuche d’une
oie blanche -- irrésistible Connie
STEVENS -- qui se retrouve fille-mère (so shocking !) après s’être fait allégrement culbutrousser par le premier
godelureau croisé sur le transatlantique qui la ramène au pays (so chic !), le
metteur en scène, par toutes les qualités précédemment citées, arrive à élever l’historiette de départ jusqu'à des sommets
rien moins qu’opératiques.
Et puisque
nous parlons de cimes et d’altitude, rencontrons sans retard celui par qui le
scandale arrive, et voyons ce qu’il va raconter pour emballer la petit
dinde qui vient de tomber dans ses filets de grand prédateur vorace.
Alors,
peut être Mademoiselle Tessa Skeffington pourra-t-elle nous éclairer sur le
sens caché de cette puissante démonstration ?
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